01/01/1936 : Recherches géologiques et minières

Recherches géologiques et minières effectuées aux Iles Saint-Pierre et Miquelon en 1935
par E. AUBERT de la RUE, ingénieur géologue.

 

Extrait de La Chronique des mines coloniales
Numéro du 1er Janvier 1936

Introduction

La campagne de prospection que je viens d’effectuer d’avril à août 1985 m’a permis d’achever l’étude géologique du groupe, commencée en 1932, et de relever tous les indices de minéralisation qu’il présente. J’ai effectué, au total plus de 1.000 km. d’itinéraires, explorant successivement toutes les différentes parties de l’archipel d’une façon très complète. J’en ai profité pour lever à la boussole la topographie du pays, principalement le cours des rivières et l’emplacement des reliefs et des étangs les plus importants, de manière à pouvoir établir par la suite une carte géologique détaillée de la colonie. J’ai recueilli, au cours de mes recherches et de mes travaux, plus de 800 échantillons de roches, minerais et sables, dont un premier examen fait l’objet de ce rapport.

Première Partie : RESULTATS GEOLOGIQUES

J’avais esquissé, à la suite de ma première mission, la répartition des différentes formations constituant l’archipel, en soulignant alors l’assez grande complexité des terrains rencontrés. Mes récents travaux m’ont montré que la géologie de l’archipel est en réalité plus compliquée encore qu’il ne m’était apparu durant mes précédentes investigations, qui d’ailleurs avaient été très rapides.

En ce qui concerne l’île Saint-Pierre, il n’y à pas de modifications sensibles à apporter à la description que j’en ai faite.

Pour Langlade, par contre, il y a plusieurs précisions à faire.

Langlade est formée par un ensemble de terrains sédimentaires, peu métamorphiques, mais fortement plissés et d’âge très ancien, représentés essentiellement par des roches gréseuses (grès rougeâtres souvent rubanés, arkoses mauves et surtout quartzites blancs, rosés ou grisâtres) et par des roches schisteuses (phyllades rouges ou vertes, schistes ardoisiers noirs). Associés à ces diverses roches apparaissent quelques types un peu moins fréquents mais très intéressants car ils sont fréquemment minéralisés. Ce sont notamment des brèches siliceuses, comme on en rencontre dans la vallée de la Belle-Rivière et à l’Anse aux Soldats, des brèches chloriteuses, des calcschistes. J’ai découvert également à Langlade des calcaires véritables formant quelques affleurements limités. Un banc de calcaire gris barre le cours de la Belle-Rivière à 500 m. environt en aval du Ruisseau des Mâts et se trouve au contact des schistes ardoisiers noirs et des phyllades rouges. Les phyllades vertes au fond de l’Anse du Goëland (entre la Pointe-Plate et le Cap Corbeau) renferment de fréquentes intercalations de calcaire rosé, sous forme de grosses lentilles. Il en est de même dans la vallée inférieure du Ruisseau de Dolisie.

Les principales formations de Langlade se répartissent ainsi : le Nord de l’île, c’est-à-dire la région de l’Anse du Gouvernement et la vallée intérieure de la Belle-Rivière, est constitué par un ensemble de schistes et de grès rouges que l’on retrouve dans l’Ouest entre le Petit Barachois et le Cap Corbeau. Vient ensuite une très vaste étendue de quartzites formant une large bande orientée Nord-Est-Sud-Ouest, se poursuivant, sans interruption, des hauteurs du Cap aux Morts à l’Anse du Sud-Ouest. Ces roches forment le plus souvent des affleurements chaotiques qui, dans la partie de l’île comprise entre la Belle-Rivière et le Ruisseau Debons, ont reçu le nom de Graves. Ce sont les quartzistes qui constituent le sommet de la Tête de Cuquemel et toutes les petites buttes qui sont le prolongement de ce chaînon dans la plaine, au Nord-Est du Ruisseau Debons. Ces mêmes roches forment le Cap au Renard, à l’Ouest du Ruisseau de Clotaire et tout le plateau profondément entame par les deux vallées de Maquine.

Sous ces quartzites, dans les vallées, apparaissent des phyllades, vertes généralement, et des schistes noirs. C’est ce qui a lieu au Ruisseau Debons et dans son bras oriental, nommé  » La Cascade « , au-Ruisseau de Clotaire et dans ceux de Maquine. Des phyllades vertes se montrent également sur le flanc ouest de la Tête de Cuquemel. Une autre zone de schistes ardoisiers noirs, très importante celle-ci, occupe le centre de Langlade.

Peu visibles sur les plateaux couverts de tourbières, ces schistes se montrent sur une bonne partie du cours de la Belle-Rivière et de ses deux bras (Fourche Droite et Fourche Gauche). On les suit longtemps aussi dans la vallée du Ruisseau des Mâts, tandis que, plus à l’Est, le Ruisseau de l’Anse aux Soldats a son lit entièrement creusé dans cette formation qui forme les falaises du fond de l’anse du même nom. Un dernier affleurement important de schistes ardoisiers gris noir est visible dans la grande baie située entre le Cap Bleu et le Cap Coupé, se prolongeant au Nord dans la vallée de Dolisie. Cette bande schisteuse est comprise entre un complexe de phyllades vertes et de quartzites, qui s’étend du Cap Bleu à la Montagne Noire jusque vers les Fourches, et une autre zone de phyllades formant le Cap Coupé. Cette dernière se poursuit tout le long de la Baie et vient recouvrir, à la hauteur de l’Anse à la Gazelle, un massif de quartzites constituant notamment le Cap à Ross et le Cap Percé.

Telle est la répartition, assez confuse, des divers terrains sédimentaires à l’intérieur de Langlade. Il existe également dans cette île quelques pointements de roches volcaniques, mais d’assez faible importance. C’est, le cas de quelques massifs rhyolitiques, au milieu des quartzites, dans les hauteurs qui séparent l’Anse aux Soldats de celle du Gouvernement. Des rhyolites forment également l’éminence, connue sous le nom du  » Cap Corbeau  » immédiatement au Nord des Graves, non loin de la Belle-Rivière. Ces roches affleurent en quelques points aussi entre la Butte au Thé et l’étang du Goéland (celui du Nord de l’île). Des basaltes s’observent en divers points dans les hauteurs du Cap aux Morts et constituent même le point culminant de cette montagne. On les retrouve à la base du Cap Corbeau, mais c’est dans les collines situées entre l’embouchure de la Belle-Rivière, la Butte au Thé et l’étang Niachi qu’ils sont les plus développés. Les roches volcaniques manquent dans tout le reste de Langlade, ou ne forment que de rares filons dans les quartzites et les schistes. Tous sont de nature basaltique. Le plus intéressant d’entre eux est celui qui passe sous le phare de la Pointe-Plate, au milieu des phyllades vertes qu’il a transformées en cornéennes à son contact. Le centre du filon est constitué par un gabbro micacé, la seule roche éruptive grenue rencontrée à Langlade.

J’ai fait également plusieurs constatations nouvelles en ce qui concerne la géologie de Miquelon. Les terrains métamorphiques anciens qui bordent la rive orientale du Grand Etang ont une assez large extension vers l’Est, surtout à la hauteur du Goulet, où ils avancent jusque près du Ruisseau de la Colline et au bord de l’étang du Chapeau. Ces formations sont principalement représentées par des amphibolites et des cornéennes contenant par endroits des grenats (grossulaire). Dans la presqu’île du Cap, il y a lieu de mentionner la présence d’un grand affleurement de gabbro, qui occupe la dépression séparant la colline du Calvaire des hauteurs du Cap proprement dit. Dans la même région, mais un peu plus au Nord-Ouest, au sommet des falaises du Bec, j’ai trouvé pour la première fois de beaux échantillons de gneiss à cordiérite.

Mes itinéraires, dans la région des mornes qui occupent le centre de Miquelon, m’ont montré que ce district montagneux était exclusivement formé par des rhyolites : roches volcaniques identiques à celles constituant la masse principale de l’île St-Pierre.

Deuxième Partie : RECHERCHES MINIERES

Maintenant que la constitution géologique de l’archipel est bien connue, on peut affirmer qu’il n’existe, aux îles Saint-Pierre et Miquelon, aucun terrain susceptible de renfermer de la houille. Le seul combustible que l’on rencontre est la tourbe, qui forme d’ailleurs dans les plaines de Langlade et de Miquelon des dépôts étendus, d’une exploitation très facile, surtout dans les plaines qui bordent la côte ouest de Miquelon et sur la rive nord du Grand Barachois. La tourbe pourrait être avantageusement utilisée pour les besoins locaux (chauffage domestique et sécheries de morues). La nature du sous-sol de l’archipel ne laisse aucun espoir non plus en ce qui concerne l’existence des combustibles liquides. Les pellicules irisées, que l’on observe fréquemment à la surface des flaques d’eau des tourbières ou sur certains suintements, sont simplement dues à des traces de fer (métal très fréquent dans les tourbes : fer des tourbières) et n’indiquent nullement la présence d’un hydrocarbure.

Les substances minérales dont on relève le plus d’indices à Saint-Pierre et Miquelon sont des métaux tels que le fer, le cuivre et le plomb.

– Fer : Le minerai le plus riche et le gisement qui semble le plus intéressant est celui du Grand Colombier. Les analyses faites sur les échantillons prélevés, il y a trois ans, indiquent pour ce minerai, une teneur moyenne en fer de 60%. J’ai revu ce gîte, situé sur la partie orientale de l’île, dans les hauteurs entourant l’Anse du Sud-Est. Quelques travaux de recherches m’ont permis de m’assurer que le gisement n’est pas uniquement superficiel et se poursuit bien en profondeur.

Le minerai est une hématite rouge compacte et sa gangue une brèche siliceuse, en liaison avec des rhyolites, roches qui constituent tout le reste du Colombier. Le minerai de fer ne forme pas un ou plusieurs filons bien définis mais imprègne irrégulièrement la brèche siliceuse sur toute son étendue, avec des zones d’enrichissement de quelques mètres de large, que l’on peut suivre en surface sur une certaine distance. Ces zones semblent généralement dirigées N. 60° E. Les affleurements de minerais s’étendent, en surface, sur une distance de 500 m. du Nord au Sud et sur 200 ou 300 m. environ de l’Ouest à l’Est. L’hématite apparaît dès le niveau de la mer, dans le fond de l’Anse du Sud-Est et se continue en hauteur jusqu’au sommet du promontoire qui forme l’extrémité orientale du Grand Colombier. J’ai cherché, mais sans succès, la prolongation de ce gisement vers le Sud, de l’autre côté de la passe à Henry, sur la Cote de Saint-Pierre.

Des minerais de fer, moins riches que ceux du Colombier, existent à Langlade, au bord de la mer, au pied de la Tête Pelée, entre le fond de l’Anse du Gouvernement et l’Anse de la Vierge. Il s’agit d’hématite rouge, en relation avec une rhyolite. Sur les Graves, à la cote 140 environ, un peu à l’Ouest de la Belle-Rivière, les quartzites présentent également quelques indices de minéralisation (hématite concrétionnée) ,mais de faible importance.

A Miquelon j’ai retrouvé dans la partie orientale du Cap un minerai de fer qui, à première vue, paraît très semblable à celui que j’ai signalé antérieurement au sommet de la colline du Calvaire et qui était une magnétite titanifère. Dans les montagnes du Cap un minerai se présente dans les mêmes conditions, imprégnant plus ou moins fortement des gneiss gris qui sont traversés, en outre, en certains endroits, par des veines de minerai très pur. C’est le cas, au sommet de la bute de la Cormorandière, dominant les falaises du même nom (Côte nord du Cap) où des bandes de magnétite sont orientées S. 20° E. Sur le versant opposé au Cap, audessus de la Pointe à la Loutre, réapparaissent des gneiss identiques (roches grises à grain très fin) avec des veines de minerai ayant sensiblement la même direction (S.10° E).

– Cuivre : Les indices de cuivre sont très nombreux dans le groupe. A ceux que j’ai signalés précédemment en 1932, je puis en ajouter maintenant toute une série de nouveaux, intéressants à connaître bien que, dans la plupart des cas, la minéralisation soit trop sporadique pour présenter un intérêt pratique, à l’exception d’un affleurement, celui de l’Anse aux Soldats, sur lequel je m’étendrai plus loin. Voici donc la liste des points où apparaissent des minerais de cuivre.

Langlade. Sur le versant occidental de la Tête Pelée, à mi-hauteur, les basaltes (?), très altérés et silicifiés, montrent des traces de malachite. A l’Anse de la Vierge, non loin de là (un peu à l’Ouest du Cap aux Morts), apparaît une roche semblable, contenant un peu de malachite. Dans la partie moyenne de la vallée du Ruisseau de l’Anse aux Soldats, un filon de quartz, traversant les schistes noirs, contient un peu de chalcopyrite. Dans la vallée de la Belle-Rivière (partie inférieure) un escarpement, formé de grès et de schistes rouges est traversé par des veines de quartz contenant des traces de malachite. A la Pointe Plate, quelques enduits de malachite sont visibles dans les cornéennes pyriteuses formées au contact d’un gros filon basique et de phyllades, sous le phare.

Miquelon. Presque tous les indices de cuivre relevés à Miquelon se trouvent le long de la côte occidentale de l’île. Le plus méridional se trouve entre le Ruisseau du Renard et le Ruisseau Creux, sur la route en construction allant à la Pointe au Cheval. Ce sont ici des rhyolites brunes qui renferment des veinules d’érubescite dont l’altération a formé de larges enduits verts de malachite sur les diaclases de la roche. Dans les escarpements rocheux du littoral, juste à l’Ouest du phare du Cap Blanc, les gneiss à muscovite contiennent des mouches d’érubescite au contact du granité. Un peu plus au Nord, tout de suite après la Grande Anse, affleurent, dans les falaises, des amphibolites traversées par des veines de quartz, d’épidote et de zéolites (prehnite) contenant de la chalcopyrite.

Le même sulfure de cuivre se retrouve dans les mêmes conditions à quelque cent mètres plus au Nord, en direction de Boyau. Immédiatement au Sud de la Grande Anse de l’Ouest, un petit filon de pegmatite, surtout quartzeux, contient un peu d’érubescite et de chalcopyrite. Des filons analogues avec de grandes lamelles de chlorite, de sulfure de cuivre et de malachite, recoupent également les gneiss du littoral entre la Grande Anse de l’Ouest et l’Anse aux Warys. Enfin, un peu au Sud du Ruisseau de la Demoiselle, les gneiss, au sommet de la falaise, renferment quelques veines d’érubescite.

Je n’ai rien constaté de nouveau dans la partie du Cap voisinant l’Anse à la Vierge, du moins en ce qui concerne le cuivre, où des indices sont connus depuis très longtemps, en relations avec des roches basiques (gabbro et hornblendite). Toutefois, j’ai découvert en cet endroit, dans un échantillon de gabbro contenant de la chalcopyrite, un sulfure métallique gris (indéterminable à l’œil nu).

Les indices de cuivre les plus intéressants de l’archipel sont certainement ceux de l’Anse aux Soldats à Langlade.

Le gisement se trouve dans la partie nord de la Baie, dominée par une falaise escarpée et dénudée, dont le peu de solidité rend les recherches assez difficiles en raison des éboulements.

La roche qui la constitue est une arkose très dure mais fissurée, dont la teinte varie du mauve au gris verdâtre. La zone minéralisée est visible à une quinzaine de mètres du rivage et à quelques mètres au-dessus du niveau de la mer. Elle forme une bande de 8 mètres environ, inclinée de 20° vers S. 50° E., prenant la falaise en écharpe et n’affleurant guère que sur une vingtaine de mètres, étant masquée ailleurs par des éboulis. Le minerai de cuivre se présente en imprégnation dans la roche, sous forme de mouches, de veines et de petits amas régulièrement distribués à travers la zone minéralisée. Le minerai revêt deux formes bien distinctes. On trouve d’une part, une roche d’un vert très foncé, analogue à l’arkose des épontes, mais très riche en chlorite et qui parait avoir été broyée. Elle renferme principalement deux sulfures de cuivre différents : la chalcosine ayant une teinte grise et l’érubescite, d’une belle coloration bleue ou violette. En surface la malachite est fréquente. Le second type de minerai, beaucoup plus siliceux, est une sorte de brèche grise, dont la minéralisation est surtout formée par de la chalcopyrite, avec accessoirement de l’érubescite. Il arrive en surface que la roche cuprifère soit profondément altérée et transformée en une sorte d’argile verte.

Bien qu’il ne s’agisse nullement d’un filon, la région minéralisée est pourtant bien délimitée et il est rare de trouver du cuivre dans la roche encaissante, qui contient seulement de la pyrite de fer. J’ai pratiqué plusieurs fouilles sur cet affleurement, non sans mal, car les coups de mine déterminaient des éboulements. La minéralisation s’enfonce vers l’Ouest, à l’intérieur de la montagne.

Pour la suivre et mesurer l’extension du gîte, il y aurait lieu d’ouvrir un travers-banc suivant une direction à peu près Sud 70° Ouest, à partir de l’affleurement, travail délicat, du moins en débutant, en raison du manque de cohésion de la falaise. Il faudrait opérer préalablement un sérieux décapage et boiser. Une autre solution serait de creuser un puits d’une vingtaine de mètres à partir du sommet de la falaise de façon à recouper en profondeur le minerai. Je ne pouvais, procédant à une étude d’ensemble de l’archipel, entreprendre des travaux de ce genre, dépassant le cadre d’une prospection générale. Ceux que j’ai faits, plus superficiels, m’ont fourni cependant un bon lot d’échantillons, suffisants pour avoir une idée de la nature et de la richesse de la minéralisation. Une première analyse, effectuée tout récemment par le laboratoire L. Campredon, de Saint-Nazaire, portant sur un lot de minerai, ayant subi un concassage et une simple triage à la main afin d’éliminer les parties stériles, a donné le résultat suivant :

Silice 54,50 %
Alumine 12,23 %
Fer 4,70 %
Manganèse 0,07 %
Chaux 1.99 %
Magnésie 1,63 %
Cuivre 14,15 %
Arsenic 0,02 %
Plomb 0 ou traces
Antimoine 0 ou traces
Nickel, cobalt 0 ou traces
Baryte, zinc 0 ou traces
Soufre 4,95 %
Anhydride carbonique 1,71
Oxygène, eau combinée, non dosés 4.05 %
Argent 120 grammes à la tonne.
Or 0 ou traces.

Il s’agit d’un minerai de bonne qualité, facile à concentrer mécaniquement, la rivière de l’Anse aux Soldats étant toute proche et pouvant fournir l’eau nécessaire. Le gisement étant a proximité immédiate du rivage est d’un accès facile, se trouvant dans une des baies les plus abritées de Langlade. De tous les affleurements de cuivre de l’archipel, il est celui qui se présente de la façon la plus favorable. Il est indispensable, toutefois, avant d’envisager son exploitation, de faire les travaux nécessaires pour s’assurer de son extension en profondeur et d’un tonnage suffisant pour en justifier la mise en valeur.

– Plomb : En examinant en France les échantillons rapportés de ma précédente campagne, j’avais constaté que l’un d’entre eux renfermait un peu de galène, minerai que je n’avais pas vu sur le terrain. L’échantillon en question provenait de la Belle-Rivière, et je n’ai pas eu de difficultés à retrouver, cette annee, le point où il avait été recueilli. L’affleurement est sur la rive droite de la Belle-Rivière, à quarante minutes en amont de l’embouchure. Ici encore, il ne s’agit pas d’un filon, mais d’imprégnation de galène dans une brèche grisâtre, qui paraît avoir été fortement laminée, à éléments de schiste et de quartzite réunis par un ciment de calcite et de quartz. Le sulfure de plomb se trouve en petits cristaux régulièrement disséminés dans la masse. Tel qu’il se présente, le minerai est pauvre, du moins en surface, mais il est facile de l’enrichir mécaniquement,, après concassage et broyage, par simple lavage, aisé à réaliser du fait de la rivière toute voisine. La roche minéralisée affleure sur une cinquantaine de mètres, comme j’ai pu le constater en creusant quelques petits puits sur le bord de la rivière. Le gisement est compris entre des schistes rouges et verts, en amont, et des brèches siliceuses et des arkoses, en aval. La zone minéralisée se poursuit certainement sur la rive gauche de la rivière, où les recherches sont difficiles en raison des tourbières. En ce qui concerne la prolongation du gîte vers l’Est, elle ne me paraît pas faire de doute, mais pour s’en assurer, il faudrait faire quelques tranchées afin d’enlever la couverture de cailloutis épaisse de 2 ou 8 mètres, recouvrant la formation.

Il est intéressant de faire un rapprochement entre la nature géologique de la région de la Belle-Rivière, où je viens de signaler du plomb, et celle de l’Anse aux Soldats, décrite à propos du cuivre et distante en ligne droite de 3 à 4 kilomètres. Dans les deux endroits on se trouve en présence de la même formation géologique, et il est assez vraisemblable que l’une et l’autre sont reliées. La région qui s’étend entre les deux points en question est très boisée et les investigations en surface sont très difficiles, car les affleurements rocheux font défaut. Néanmoins, j’ai pu faire une découverte intéressante dans les hauteurs qui dominent les falaises de la partie nord de l’Anse aux Soldats. C’est celle d’un affleurement de plomb, offrant beaucoup de ressemblance avec celui de la Belle-Rivière. La galène imprègne ici une brèche noire, formée d’éléments siliceux, schisteux et calcaires. Le gisement se trouve à la cote 70, un peu à l’Ouest de l’Anse aux Soldats. Les éboulis cachent la formation sur laquelle repose cette brèche, mais il s’agit sans doute d’arkoses, roche qui forme le toit du gîte.

Voici le résultat de l’analyse qui vient d’être faite, par le laboratoire Campredon, de la galène de la Belle-Rivière (sur un échantillon de minerai broyé et concentré) :

Silice 35,12 %
Alumine 13,58 %
Fer 9,29 %
Oxyde de manganèse 0,16 %
Chaux 0,82 %
Magnésie 1,94 %
Baryte 0 ou traces
Cuivre 0,73 %
Plomb 2,75 %
Zinc 1,12 %
Arsenic 0,03 %
Antimoine 0 ou traces
Nickel cobalt 0 ou traces
Soufre 4,67 %
Oxygène, eau combinée, anhydride carbonique, non dosés et pertes 9,79 %
Argent 10 grammes à la tonne de minerai.

Manganèse : Ce métal est assez abondant dans tout l’archipel et se rencontre sous forme de wad, oxyde hydraté, formant des masses noires, tendres et granuleuses, tachant les doigts comme du charbon. Ce minerai forme des dépôts dans les tourbières et sur les bords des rivières. Il forme souvent une croûte noire autour des galets qui encombrent le lit des ruisseaux et le fond des étangs. A Langlade, on le trouve en plus grande quantité au Sud-Ouest et un peu en contrebas de la Tête de Cuquesmel, sur le versant est de la vallée supérieure du premier ruisseau de Maquine, autour du grand étang des Fourches. A Miquelon, le wad est particulièrement abondant dans les tourbières qui s’étendent à l’Est du Grand Etang et surtout à Pousse-Trou. Ce minerai ne présentant pas d’intérêt économique, il est inutile d’insister à son sujet.

Recherches entreprises pour l’or : Je n’ai pas mentionné la pyrite de fer en parlant de ce métal, car si on la rencontre un peu partout dans les îles, elle ne forme pourtant nulle part d’amas important. Néanmoins, si la pyrite ne se trouve pas en quantité suffisante pour avoir un intérêt en elle-même (en vue de l’extraction du soufre ou de la préparation de l’acide sulfurique), il est intéressant de l’examiner pour la recherche de l’or, métal auquel la pyrite sert souvent de véhicule. J’ai donc prélevé en divers endroits, pour une étude ultérieure, des échantillons de roches pyriteuses. C’est le cas des rhyolites de la Plaine du Chapeau à Miquelon et celle de l’Anse à Ravenel à Saint-Pierre. Les roches amphiboliques de Miquelon (Anse à la Vierge et colline située à l’Est du goulet du Grand Etang) sont très riches en pyrite. A Langlade, ce minerai s’observe parfois dans les filons de calcite traversant les schistes ardoisiers de l’Anse aux Soldats, dans les arkoses de la même baie, dans certaines brèches siliceuses de la Belle-Rivière. J’ai néanmoins peu d’espoir en ce qui concerne la présence de l’or aux îles Saint-Pierre et Miquelon étant donné la rareté des filons de quartz et l’absence de toute trace d’or visible dans les alluvions des rivières. Les lavages de sables, auxquels j’ai procédé à la bâtée dans toutes les principales rivières de l’archipel, m’ont donné un résultat négatif.

Substances minérales diverses : Parmi les substances minérales non métalliques rencontrées dans les îles et qui peuvent être d’un intérêt pratique, il y a lieu de mentionner le tripoli ou vase à Diatomées, qui forme des dépôts dans la plupart des étangs. On en rencontre, notamment, dans les anciens fonds d’étangs asséchés dans les plaines du Sud-Est de Miquelon. Ces dépôts sont bien nets, dans la falaise du littoral rongée par la mer, entre la Pointe aux Alouettes et l’étang du Sud du Cap Vert. Une couche de tourbe noire d’une épaisseur de deux mètres, recouvre ici le dépôt de tripoli.

L’épidote rose (piémontite), qui abonde dans beaucoup de rhyolites de l’île Saint-Pierre (Cap Rouge, Morne de la Vigie, Anse à Dinand, etc.), et surtout à l’île aux Marins (Anse à Tréhouart), donne à ces roches, susceptibles d’acquérir un beau poli, une coloration rose très délicate. Ces rhyolites pourraient certainement trouver un emploi comme pierres d’ornementation.

J’ai trouvé quelques échantillons d’amiante à l’île Saint-Pierre (entre la Pointe Blanche et l’Anse à Ravenel). Ce minéral se présente en fibres soyeuses, gris verdâtre, provenant de la transformation de l’épidote dans une andésite (?) altérée., A Langlade, j’ai découvert un peu de talc dans les veines de quartz traversant les schistes et grès rouges des escarpements de la vallée inférieure de la Belle-Rivière. A Miquelon, le talc forme des enduits verdâtres sur les amphibolites et cornéennes le long de la rive orientale du Grand Etang, un peu au Nord du Ruisseau des Eperlans. Enfin, pour la première fois également, j’ai rencontré à Saint-Pierre et Miquelon de la barytine, en masses cristallines blanc rosé, formant des veines dans les arkoses de l’Anse aux Soldats à Langlade. Il était intéressant de mentionner ces trois dernières espèces bien qu’elles ne paraissent pas se rencontrer en quantités exploitables.

Conclusions

Des nombreux indices de minéralisation constatés dans l’ensemble de l’archipel, trois points méritent de retenir plus particulièrement l’attention. Il s’agit, en premier lieu, de cuivre de l’Anse aux Soldats à Langlade. C’est ensuite le fer du Grand Colombier, et enfin, le plomb de la Belle-Rivière à Langlade.

Avant de conclure, toutefois, à la possibilité d’exploitation de ces divers gisements, il importe, comme cela se pratique toujours en pareil cas, d’y entreprendre un certain nombre de travaux afin de s’assurer de leur valeur exacte, de leur extension et de la continuité de la minéralisation en profondeur. Ce sont naturellement là des recherches assez longues et onéreuses, que devront prendre à leur charge ceux qui envisageront éventuellement la mise en valeur de ces gisements dont la prospection de la Colonie a révélé l’existence.

Saint-Pierre, le 7 août 1935.

Laisser un commentaire

*