19/12/1963 : Mary-Pauline

Une vieille goélette bien connue dans nos îles, appartenant à la société Piers Fudge de CornerBrook, Terre-Neuve, se trouvait le 19 décembre au large de Saint Pierre au milieu d’une terrible tempête qui n’avait pas été annoncée dans les bulletins météorologiques.

A sept heures du soir, le « Mary-Pauline » envoya un message radio ainsi conçu : Du « Mary-Pauline » capitaine blessé, avons une navigation difficile. Demandons de l’aide.

Ce message désespéré fut entendu par le « Nina Corkum » appartenant à G.B. Foote de Grand-Bank. Ce navire qui était un bateau similaire du « Mary-Pauline » était au port, n’ayant aucun intérêt à se trouver en mer avec un temps pareil. Sitôt la réception du message, répondant à cette vieille tradition d’assistance à la mer, à ceux qui sont en danger, le « Nina Corkum » sortit du port ainsi qu’un chalutier appartenant à Fishery Products, le « Zeta ». Ni l’un ni l’autre ne purent approcher d’assez près le « Mary-Pauline ». Une personne embarquée à bord du « Zeta » décrit cette scène en disant: « que la mer était semblable à des montagnes liquides ». La neige propulsée par un vent terrible volait horizontalement et la visibilité était absolument nulle. Les témoins à bord du « Nina Corkum » et du « Zeta » virent les hommes du « Mary-Pauline » embarquer dans deux doris qui étaient le long du bord et ils pensèrent à ce moment que les hommes pourraient être sauvés.

Mais une vague gigantesque déferla sur le bateau, fit chavirer les deux doris et précipita les malheureux qui hurlèrent de terreur en tombant dans l’eau glacée. Un seul homme réussit à saisir un filin lancé par le « Zeta » et put être sauvé. Les six autres disparurent sous les yeux épouvantés des témoins des deux autres bateaux. Deux jours après cette nouvelle tragédie un corps fut retrouvé sur la grève de la côte ouest de Miquelon. Le même jour à une petite distance, sur la même grève, le corps sans tête du capitaine John Mills, fut également retrouvé.

30/09/1963 : Bahia Nuestra Senora

Le chalutier de 42 mètres « Bahia Nuestra Senora » était un chalutier de grande pêche construit aux chantiers de Vigo (Espagne). Il appartenait à une Société de pêche de Pasajes, un petit port situé sur la côte occidentale de l’Espagne.

Les pêcheurs espagnols pêchent sur les Bancs de Terre-Neuve depuis près de 400 ans et ils fréquentent nos côtes depuis la même époque. Les Espagnols utilisent une méthode de pêche qui leur est propre. Les Saint-Pierrais les désignent sous le vocable « Les Boeufs ». Cette méthode consite à trainer en tandem un énorme filet. Le jour de la collisions, le Bahia Nuestra Senora et son frère jumeau se trouvaient sur les lieux de pêche au Banc de Saint Pierre par une journée brumeuse avec un visibilité très réduite.

Le cargo grec « Rithne » se trouvait dans les parages, en route pour l’Europe. Ce bateau, qui ne soupçonnait pas la présence des deux chalutiers espagnols, était en route libre, c’est à dire en pleine vitesse.
Il aperçut très tardivement un des deux bateaux et par un habile coup de barre, réussit à l’éviter. Mais ce coup de barre fut fatal au second chalutier. Le cargo grec heurta de plein fouet le petit chalutier qui fut presque coupé en deux. C’est presque miraculeux que l’équipage espagnol ait réussi à se sauver. Les méfaits de cette collision étaient multiples car le bateau coulé était un navire neuf et de plus il avait dans sa cale 400 tonnes de morue salée, ce qui représentait pour les pauvres marins espagnols la perte d’une somme importante destinée à nourrir leurs familles.

26/12/1962 : Mary Wiscombe

Par une aveuglante tempête de neige, le schooner terre-neuvien Mary Wiscombe se jeta sur le rivage à Cap Coupé, au pied des falaises rocheuses de Langlade. L’absence totale de visibilité, la force de la tempête et l’impossibilité pour le navire de maintenir son cap furent les raisons du naufrage. Il était parti de Fortune le même après-midi, en direction de North Sydney, en Nouvelle Ecosse. Ecoutant la météo de sept heures du soir, il enregistra des prévisions de fort vent de sud-est avec des vitesses de 35, 40 nœuds. La mer était très dure et la visibilité presque nulle, ce qui amena le capitaine William Fawrell à mettre le cap sur Saint Pierre pour y trouver un havre sûr. Une demi-heure plus tard, un bruit de tôle écrasée se faisait entendre et le capitaine comprit que son gouvernail avait été brisé. Le schooner était solidement accroché aux rocs à peu de distance de la terre. Le doris mis à la mer par l’équipage ne résista que quelques secondes à la violence des vagues. Une autre vague plus puissante porta le Wiscombe encore plus haut sur le rivage;

« ce qui permit aux hommes et à moi-même de quitter le bord en sautant de rochers en rochers. Deux de mes hommes glissèrent et tombèrent à la mer qui les entraîna sous la coque du navire. Je fus assez heureux de pouvoir les repêcher tous les deux et de les ramener sur la terre ferme.

Tous les cinq nous avons fait l’ascension de la falaise et nous nous sommes dirigés vers les bois ou nous avons passé la nuit. Nous étions tous trempés. Au cours de la nuit il est tombé de la pluie, de la neige et il a gelé. Le lendemain à l’aube, j’ai décidé que nous tenterions de gagner le Phare de la Pointe Plate. Albert Hillier qui était tombé à l’eau, souffrait beaucoup de la jambe et n’était pas capable d’effectuer une si longue marche. Il en était de même de George Brushett. Tous deux sont restés dans le bois à attendre que nous puissions revenir avec du secours. Thomas Walsh, Charlie Scott et moi-même, nous sommes partis pour Pointe Plate. Nous avons traversé un petit ruisseau. Après une marche très épuisante de dix heures, nous avons découvert une petite cabane. Charlie Scott qui était complètement exténué, est mort très peu de temps après être entré dans la cabane. Nous avons réussi à faire un feu et nous avons trouvé du café et du sucre. Nous avons passé la nuit dans la cabane. Le lendemain matin 28 décembre, nous avons pris la décision de continuer en direction de la Pointe Plate. Finalement nous sommes arrivés le lendemain après-midi à trois heures chez les gardiens du phare après avoir marché pendant sept heures. A la Pointe Plate nous avons été accueilles charitablement par les gardiens qui nous ont réconfortés et nous ont donné a manger. Immédiatement ils ont avisé Saint-Pierre en téléphonie, du naufrage. A six heures du soir la même journée, le M/V « MIQUELON » est arrivé à Pointe Plate pour nous chercher, Thomas Walsh et moi-même et nous a ramenés à Saint-Pierre. En même temps le petit bateau « Saint-Fugene » est allé récupérer le corps de Charlie Scott pour le ramener à Saint-Pierre.

Je conclus ce rapport en déclarant que mon bateau le « Mary-Wiscombe » doit être considéré comme une perte totale.

Saint-Pierre 29 décembre l962. William Fawrell.

Les corps de Albert Hillier et de George Brushett furent retrouvés dans les bois par une équipe de Saint-Pierrais parmi lesquels se trouvaient les frères Vigneau.

30/10/1962 : Galantry

 

L’annee 1962 qui avait commencé par un désastre pour la Société de Pêche et de Congélation, se termina par la perte d’un autre chalutier. C’était le plus ancien chalutier de la flottille Saint-Pierraise qui fut construit en Hollande en 1954. Il était en excellent état de navigabilité. Il était un peu plus court que les autres bateaux mais il pêchait avec une grande facilité.

Le 30 octobre, le chalutier était en pêche sur les Bancs de Terre-Neuve. Au moment où il virait une des deux lourdes portes qui permettent l’ouverture du chalut, cette porte vint frapper avec une grande violence la coque un peu au-dessous de la flottaison. Ce choc provoqua un trou où l’eau s’engouffra et commença à inonder l’intérieur. Pendant quelques temps, les pompes purent contrôler le niveau de l’eau, mais bientôt la chambre des machines fut envahis, mettant les deux moteurs et les pompes hors d’état. Le Galantry sombrait.

Au premier signe d’avarie, le capitaine lança un S.O.S. général signalant qu’il était en train de couler. L’équipage était terrifié, car huit mois à peine s’étaient écoulés depuis la disparition du Ravenel. Heureusement, le Galantry resta à flot assez longtemps pour permettre à l’équipage d’être recueilli par un chalutier canadien arrivé sur les lieux.

Ce ne fut que quelques instants après le sauvetage que le navire glissa doucement dans les eaux vert sombre des profondeurs océaniques.

30/01/1962 : Ravenel

Le « Ravenel » était un chalutier de grande pêche appartenant également à la Société de Pêche et de Congélation de Saint-Pierre. Il fut construit en 1961 aux chantiers de Saint-Malo, France.

Dans le journée du 30 janvier, ce chalutier n’effectua pas l’appel quotidien habituel. La veille il avait annoncé son retour au port pour le lendemain. Le premier jour il n’y eut aucune inquiétude à son sujet car nous étions en période hivernale et il arrivait assez souvent que des chalutiers ou autres navires, par suite de leurs antennes brisées par le poids de la glace survenue à la suite des embruns, ne pouvaient communiquer avec la terre.

Le lendemain 31, le « Ravenel » n’ayant émis aucun message, la Société de Pêche et de Congélation alerta tous ses bateaux auxquels vinrent s’ajouter des navires caboteurs et pêcheurs de Terre-Neuve, le bateau postal de Saint-Pierre et les avions de la R C A F d’Halifax et ceux de la base américaine d’Agentia à Terre-Neuve. Malgré toutes les recherches effectuées, la présence du « Ravenel » ne fut décelée nulle part sur l’océan. Quelques jours plus tard une porte de timonerie, un soulier, un vêtement ciré et une bouée couronne marquée « Ravenel » furent recueillis sur la grève de Lories, Terre-Neuve. Certains de ces objets furent identifiés comme ayant appartenu à des marins du « Ravenel ».

Le chalutier était commandé par le capitaine Adrien Fily. Le lieu du naufrage n’a jamais été déterminé avec précision. Aucun des corps des dix-huit hommes ne fut retrouvé. La perte du « Ravenel » fut pour nos îles une véritable tragédie maritime. Ce terrible malheur qui frappait de jeunes veuves et de nombreux orphelins fut ressenti non seulement par la population de Saint-Pierre et Miquelon, mais également par celle de la grande île voisine. Les nombreux télégrammes et messages de sympathie qui furent adressés de plusieurs villes de Terre-Neuve aux autorités de Saint-Pierre en furent la plus émouvante démonstration.

Différentes thèses ou versions furent avancées après la perte du « Ravenel ». Parmi elles, une consistait à affirmer que le chalutier avait au moment de son retour une très mauvaise « assiette », par suite d’une très faible quantité de « fuel » à son bord. Ce manque d’assiette fut aggravé, toujours d’après les partisans de cette thèse, par les embruns qui, en gelant sur toutes les superstructures du navire, augmentaient dans des proportions considérables ce déséquilibre.

D’autres prétendirent que le « Ravenel » fut victime d’une collision. Ces mêmes personnes affirmaient qu’un cargo étant monté en cale sèche à Saint-Jean de Terre-Neuve, on avait constaté sur son étrave des traces de la collision et même des traces de peinture de même couleur que celle du « Ravenel » avaient été vues sur l’avant de ce cargo. Ces affirmations n’ont jamais été confirmées par les autorités responsables du port de Saint-Jean.

Une autre version circulait dans certains milieux professionnels marins au moment du naufrage. Le « Ravenel » aurait heurté en pleine vitesse la basse « Babe-Rock », située en face du hameau de Lories et aurait coulé à l’accore de ce haut fond. C’est ce qui expliquerait que certains objets furent trouvés sur la grève de Lories. A l’appui de cette version, ses partisans faisaient état de la constatation qui fut faite de la présence d’une importante nappe de mazout à proximité de cette basse précitée, quelques jours après le naufrage.

Quoi qu’il en soit la disparition du « Ravenel » ne fut jamais éclaircie et le mystère au sujet de la fin de ce navire reste entier.

L’équipage était composé de :

  • AUTIN Gérard
  • BONNIEUL Joseph
  • BOURGEOIS Robert
  • CLAIREAUX Eugène
  • FILY Adrien
  • LAFARGUE Jean
  • LAHITON Henri
  • OLANO Frédéric
  • ORSINY Jean
  • POULARD Charles
  • POULARD Yvon
  • REBMANN Lionel
  • RENOU Roger
  • REVERT Amédée
  • URDANABIA André

13/05/1959 : Savoyard

Savoyard échoué sur le Petit St-Pierre (Photo de Gabriel Cormier).

Le « Savoyard » était un chalutier de grande pêche appartenant à la Société de Pêche et de Congélation de Saint-Pierre. Il fut construit en Hollande pour cette compagnie. Il était en acier et avait une longueur de 5O mètres.

Son capitaine était Saint-Pierrais, Jean Cormier. Ce chalutier eut une triste fin et ce fut lui la première victime de cette série de malheurs et d’infortunes qui frappa par la suite cette société. Le chalutier partait pour les lieux de pêche mais il devait faire un crochet à Fortune, Terre-Neuve, pour y débarquer un passager, Mr Tupé-Thomé, un homme politique français qui était venu à Saint-Pierre se porter candidat aux élections législatives. Plusieurs opposants à la politique de cet homme étaient sur le quai au moment du départ et certains d’entre eux se moquèrent de lui. Il faut préciser que ce monsieur avait également un assez grand nombre de supporters qui étaient venus l’accompagner et lui serrer la main avant le départ. Plusieurs de ces personnes séjournèrent dans la timonerie du navire jusqu’au moment de larguer les amarres. Certains ont prétendu et prétendent encore que cette présence humaine dans la passerelle avant l’appareillage était contre-indiquée et qu’elle fut responsable d’une déviation du compas. En toute bonne foi, il faut admettre que ces affirmations sont pour le moins quelque peu fantaisistes.

Moins de dix minutes après son départ du quai de l’ancien frigorifique, le chalutier montait littéralement sur le « Rocher Petit Saint-Pierre » Au moment de l’échouage qui fut très violent, quelques membres de l’équipage furent blessés légèrement.

Un puissant remorqueur d’Halifax, le « Foundation Vigilant » fut demandé d’urgence. Compte tenu de la position très spéciale du « Savoyard » sur le rocher, il fut absolument impossible de le renflouer. Le chalutier resta assez longtemps dans cette situation inconfortable. Grâce à l’aide apportée par les tempêtes d’automne, la mer creusa la tombe de ce pauvre bateau qui gît maintenant à environ trente mètres du rocher et dont on aperçoit très bien la coque quand on la survole par avion.

17/10/1958 : J.T. Murley

Photo. Georges Borotra

Par une nuit très noire d’automne 1958, la goélette « J.T. Murley » de Terre-Neuve, vint s ‘échouer au lieu dit « Anse a la Chaudière » entre la Pointe de Savoyard et le Diamant. L ‘équipage croyant que le bateau se briserait très vite, quitta le bord dans deux doris. Le premier doris monté par trois hommes parvint à gagner la terre, mais le second dans lequel se trouvait le capitaine, ne fut pas aussi heureux et fut brisé sur les rochers par une mer en furie. Les corps des trois marins vinrent s’échouer le lendemain. Quelques marchandises légères furent sauvées par des Saint-Pierrais.

Ce naufrage laissa longtemps dans la mémoire de la population Saint-Pierraise un souvenir douloureux.

11/11/1955 : Lucy-Melinda

Une petite goélette de Terre-Neuve avec une cargaison de charbon, le « Lucy-Melinda » entra dans la nuit le port de Saint-Pierre le 11 novembre 1955. Cette goélette suivait dans la passe un autre bateau qui avait le pilote à son bord. Celui-ci avait informé le capitaine du « Lucy-Melinda » qu’il fallait qu’il attende que le bateau qui le précédait soit amarré pour qu’il puisse lui-même entrer dans le port. A la suite de cela une erreur fut commise due a une mauvaise interprétation des conseils donnés par le pilote, la goélette continua son chemin et s’engagea dans le chenal.

A cause de la nuit très noire et d’autre part à la suite d’un mauvais coup de barre; la goélette est allée s’échouer sur un plateau rocheux submergé. Plusieurs petits bateaux en s’entraidant, essayèrent de renflouer la goélette, mais ils n’y parvinrent pas et le « Lucy-Melinda » fut abandonné à son sort. Immédiatement une forte voie d’eau se déclara et on commença à décharger une partie de la cargaison de charbon.

Un chef de chantier Saint-Pierrais, très capable et très experimenté, M. Pierre Héléne, observa cette tentative de déchargement, et quand elle fut terminée, il effectua avec son équipe une opération de sauvetage qu’il mena à bien en peu de temps. Il plaça à marée basse sur la coque à la ligne de flottaison un chapelet de fûts vides. Il en mit également dans la cale et attendit tout simplement le moment de la pleine mer. A ce moment précis du « flot », la goélette se redressa et flotta, ayant retrouvé son centre de gravité et son élément. Cette goélette qui avait encore une bonne valeur fut réparée par le chantier Héléne, et ensuite revendue à un armateur de Terre-Neuve. Quelques annees plus tard elle coula au large de Saint-Pierre.

04/05/1955 : Isabel H

Durant cette période de 1920 à 1935, ce fut ce qu’on appelle encore à Saint-Pierre le « Temps de la Fraude » ou pour d’autres « la période de la prohibition ». C’est peu avant la fin de cette période que le Président Franklin De1anoé Roosevelt fut élu Président des Etats-Unis. Sa campagne porta en particulier sur la promesse de faire abroger la loi Volstead qui permettrait de mettre fin à ce qu’on nommait à l’époque en Amérique la « période sèche ».

Les îles Saint-Pierre et Miquelon étaient réputées pour être des grands centres d’entrepôt de millions de caisses de whisky, de liqueurs et autres boissons alcooliques. De grosses fortunes furent réalisées par des hommes qui réussirent à introduire aux U.S.A. et au Canada des quantités très importantes de ces boissons, malgré l’intervention de la Police Fédérale canadienne et des garde-côtes américains, qui étaient chargés d’interdire l’entrée de ces boissons mais qui n’avaient pas le droit d’intervenir au delà des limites internationales, c’est-à-dire trois milles marins.

Généralement ces opérations frauduleuses s’effectuaient par des gros navires chargés de boissons qui se tenaient en dehors des eaux territoriales. Des petites vedettes équipées de moteurs puissants, certaines avaient même des moteurs d’avion qui leur permettaient d’atteindre des vitesses de l’ordre de 30 a 35 noeuds, transbordaient la boisson le long de ces gros bateaux et pénétraient à l’intérieur des eaux américaines où ils livraient cette boisson à des endroits de la côte moins bien surveillés, ou même des lieux dit-on où la « douane américaine fermait les yeux ». Cependant sur la côte américaine, les méthodes d’interception se développaient et les fraudeurs avaient de plus en plus de difficultés pour livrer leurs chargements. Ces méthodes de détection se développant rapidement obligèrent les contrebandiers à recourir à de nouvelles méthodes. Parmi celles-ci en voici une assez originale. Renonçant à mettre les boissons à bord des bateaux habituels, les fraudeurs utilisèrent d’innocents bateaux de pêche qui ne pouvaient être suspectés par les douaniers et les capitaines des « cutters » américains. Amis lecteurs, rappelez-vous le cas de la goélette « Nathaly J Nelson » qui pêchait du « poisson » en bouteilles.

La vedette « Isabel H » était un bateau qualifié pour ces opérations camouflage et il fut basé longtemps à Saint-Pierre, à l’exception de l’annee 1936 où elle fut acquise par une société de liqueurs du Cap-Breton. Cette société s’était constituée dans un but bien précis. Elle voulait briser le monopole exclusif que détenaient les principaux trafiquants établis en Nouvelle Ecosse. Ils envoyèrent un de leurs capitaines, un Français, le capitaine Ducos, en 1936 à Demerara, un port des Antilles anglaises de la Mer des Caraïbes, pour y acheter une cargaison de rhum. Le subrécargue, M. Louis Goldman, négocia avec les marchands de rhum des Antilles, mais ceux-ci se montrèrent intraitables et ne voulurent à aucun prix briser le contrat qu’ils avaient avec les importateurs de la Nouvelle Ecosse. Il faut préciser que ce contrat avait un caractère exclusif.

Néanmoins, Goldman réussit à acheter un chargement de rhum, mais de qualité nettement inférieure, et il revint sur la côte du Cap Breton pour vendre sa cargaison. Plusieurs acheteurs vinrent à bord, mais avant d’effectuer un achat massif, exigèrent qu’un échantillon de ce nouveau rhum leur soit fourni. Plusieurs tentatives de vente de ce genre furent effectuées, mais les clients, en définitive, se refusaient à procéder à l’achat à cause de la qualité inférieure du produit. Finalement, toute la cargaison de l’Isabel H fut débarquée et entreposée dans de grands réservoirs en cuivre, dans la région de Sydney.

A la fin de cette prohibition, les navires qui effectuaient ce trafic reprirent leurs activités coutumières d’autres furent vendus. Ce fut le cas pour « Isabel H » qui fut vendue à une société commerciale de la Nouvelle Ecosse.

Le 4 mai 1955, naviguant par brume épaisse, le petit navire s’échoua sur l’île de Langlade. Le petit bateau laissa ses os sur ces rochers meurtriers de cette côte occidentale des îles Saint-Pierre et Miquelon où il avait trouvé refuge de nombreuses fois à l’âge d’or de la prohibition.

(Renseignements fournis par le Dr Robinson de 1’î1e du Prince Edouard.)

22/10/1951 : Shirley C

Un grand nombre de bateaux de tous types, de toutes grandeurs et de toutes conditions ont termine leur existence sur les rochers de Saint-Pierre et Miquelon.

Il en est de l’histoire des bateaux comme de celle des hommes. Certains d’entre eux furent célèbres, tels que le « Bounty », la « Méduse », le « Spray », le « Blue-Nose ». Le « Shirley C » peut être comparé à ces fameux bateaux restes célèbres dans les annales maritimes. Ce petit bateau servit au tournage d’un film d’Hollywood, dont l’histoire est relatée dans les ‘Mémoires du Shirley C’ par son capitaine armateur, le capitaine William C. Hancock, pilote du port de Saint-Jean de Terre-Neuve.

Cette jolie petite goélette fut utilisée et constitua la base d’un film de la Universal International Picture, qui avait pour titre « The World in His Arms ». C’est une histoire savoureuse vécue par un homme de Boston, qui dans les mots propres à ce monde de la publicité « s’est battu contre les terribles tempêtes des mers de l’Alaska », dont l’enjeu était ce fruit défendu que représentaient pour lui les lèvres d’une femme.

Pour satisfaire aux exigences du film, le « Shirely C » fut rebaptisé « Pilgrim » et sur ses ponts ont marché pendant tout le tournage de ce film, les grandes vedettes américaines Gregory Peck, Ann Blyth et Anthony Quinn. Après le tournage du film, dont la plupart des séquences furent tournées au larges des côtes de la Nouvelle Ecosse, le capitaine armateur du navire décida de prendre un chargement de charbon au lieu de retourner sur lest à Terre-Neuve. Ce qu’il advint par la suite est reporté dans un rapport officiel signé du capitaine Hancock qui déclare:

Je soussigné Williams Hancock, capitaine de la goélette auxiliaire « Shirley C » immatriculée à Terre-Neuve sous le numéro officiel 159 189, et d’un tonnage net de 38 tonnes, déclare avoir quitte North-Sydney vers midi le 20 octobre 1951 à destination de Wesleyville, Terre-Neuve avec un chargement de charbon. Mon navire était en bon état de navigabilité et je pensais effectuer un heureux voyage.

Au cours d’un violent coup de vent survenu dans la journée du 21, mon embarcation de sauvetage a été complètement démolie. J’ai décidé alors de me mettre à l’abri dans le port de Saint-Pierre.

J’ai mouillé dans la nuit du 22 octobre, vers deux heures du matin dans la Passe du Sud-Est. Des sondages effectués autour de mon navire ont accusé une profondeur de cinq brasses d’eau.

Vers 8 h 15 du matin, le pilote est venu à bord et m’a avisé que mon bateau se trouvait très près d’un danger et qu’il risquait fort de s ‘échouer. Il m’a conseillé vivement de changer de mouillage ou de rentrer au port. Au moment précis où le pilote me donnait tous ces renseignements, le navire qui louvoyait sur son câble, a talonné plusieurs fois avec violence sur cette « basse » que le pilote nommait « Caillou Saint-Louis ».

Immédiatement nous avons tenté de virer notre ancre et de faire démarrer le moteur. Mais malheureusement nous n’y sommes pas parvenus. Le pilote est allé aussitôt chercher l’assistance d’un remorqueur. Le talonnage sur le haut-fond a été fatal pour le « Shirley C » qui s’est rempli très vite d’eau et qui a coulé en moins d’une heure.

Je certifie ce rapport conforme à la vérité et je le signe en me réservant toutefois le droit de l’amplifier si besoin est.

Fait et signé pour valoir ce que de droit.

Saint-Pierre le 22 octobre 1951.
William C. Hancock
Capitaine