Le « Yamaska » était une goélette de onze ans, jaugeant 99 tonnes, qui fut construite à Lunenbourg en Nouvelle Ecosse pour l’armement William Kearly de Belloram à Terre-Neuve. Elle se dirigeait de cette localité de la côte sud de Terre-Neuve sur Halifax. Cette goélette affrétée pour le compte de la maison Smiths d’Halifax. Sa cargaison consistait en 2,600 quintaux de morue salée et séchée.
En cours de voyage, une violente tempête s’abattit sur la goélette qui ne tarda pas à prendre l’eau et menaçait de couler rapidement. Etant à proximité de la terre, le capitaine essaya d’échouer son navire dans un endroit convenable mais il n’y parvint pas. Avec son équipage il n’eut que le temps de monter dans un doris près du Cap au Diable dans l’île de Saint-Pierre. Il n y eut aucune perte de vie dans le naufrage du « Yamaska ».
Je soussigné Jean-Marie Commereux, capitaine de la goélette « Louis », immatriculée à Saint-Malo, ayant 22 hommes d’équipage, déclare ce qui suit:
« J’ai quitté Saint-Pierre le 11 juillet 1913 et mon navire était dans de bonnes conditions de navigabilité. Je me suis dirigé sur le « Bonnet Flamand » où je suis arrivé le 18. J’ai pêche sur ce banc jusqu’au 3 août, jour où je suis parti pour le Grand Banc ou j’arrivai le 6. La pêche s’est déroulée normalement et rien de fâcheux ne s’est produit jusqu’au 22 août. Un vent violent s’est levé de l’est-sud-est, puis tourné vers le sud, produisant une houle énorme. Peu avant le repas, les hommes comme de coutume se sont mis à pomper. Constatant que les pompes n’étaient pas franches et que l’eau continuait à venir claire, je suis descendu dans la cale muni d’une bougie, avec deux hommes. Nous avons constaté qu’il y avait une hauteur d’eau de cinquante centimètres dans le compartiment où était entreposée la boëtte. Ce compartiment contenait du capelan. J’ai organisé une équipe avec des seaux, puisant l’eau à l’intérieur tandis qu’une autre équipe pompait. Malgré ces mesures, l’eau continuait à monter dans la cale. Vers 9 heures du soir, la cloison séparant le compartiment où étaient nos provisions et celui contenant la boëtte s’est rompue. Après cela le capelan s’est répandu partout et il a bloqué les pompes. A ce moment le navire ne roulait pas et nous avons entendu l’eau qui entrait par l’arrière. Immédiatement j’ai décidé qu’une équipe munie de pelles changerait le sel de place, pour alléger le navire de l’arrière. L’eau avait déjà commencé à faire fondre le sel, que l’équipe ne put atteindre. La tempête continuait à souffler et le navire fatiguait beaucoup. Nous avons travaillé toute la nuit pour maintenir le « Louis » a flot. Les pompes se bloquaient continuellement et l’eau continuait à monter.
Vers 9 heures du matin le 23, le vent ayant sensiblement diminué, j’ai envoyé un doris avec deux hommes joindre le « Briantais » qui était au mouillage à environ un mille dans l’est de notre navire. Le capitaine du « Briantais » envoya son assistant et deux hommes à notre bord ; ils constatèrent et déclarèrent que notre bateau n’était plus en état de naviguer, qu’il y avait 1,50 m d’eau dans la cale et que nos pompes étaient bloquées. Ces hommes nous dirent qu’ils considéraient qu’il devenait nécessaire d’abandonner le navire. Ils entamèrent une conversation avec mon équipage relatif à cet abandon. Après nous être tous mis d’accord, l’ordre d’abandon fut donné a 11 heures du matin. Le signal international de détresse fut viré en haut du mât. Ce signal fut aperçu par le navire « Marie-Thérése » en pêche dans les parages et qui vint prés de nous dans le cas où nous aurions besoin d’aide. Je fis mettre les hommes dans un doris, ne gardant avec moi que deux hommes et un doris. Nous avons percé plusieurs trous dans le pont et vers 3 heures de l’après-midi nous avons mis le feu à bord. Entre-temps j’avais envoyé les papiers à bord du « Marie-Thérése » où moi-même j’ai trouvé refuge avec les deux hommes restés avec moi. Le « Louis » a coulé vers 5 heures de l’après-midi. Il avait à bord 28,000 morues, c’est-à-dire l’équivalence de 550 quintaux. Très peu d’effets personnels furent sauvés.
La perte de la goélette américaine « Massachusetts » est relatée dans un rapport officiel dressé par deux gendarmes de Saint-Pierre se nommant François Loup et Eugène Gicquel.
Ayant appris qu’un navire s’était échoué à un endroit nommé Petit Cap Noir, nous nous sommes rendus sur les lieux du naufrage de la goélette de pêche américaine qui était échouée à environ 6 mètres de la côte.
Le navire était continuellement balayé par d’énormes vagues et il nous a semblé que ce bateau avait terriblement souffert. Nous avons pensé que ce navire ne pouvait plus être sauvé. Au moment où nous sommes arrivés sur les lieux du naufrage, l’équipage avait déjà quitté le bord ; il ne nous semblait pas qu’il puisse être en danger.
Nous avons immédiatement effectué des recherches pour retrouver le capitaine. Il était dans un bar. Nous l’avons questionné et il nous a déclaré ce qui suit :
« Je suis sorti du port de Saint-Pierre, mais arrivé au large, j’ai constaté que le vent n’était pas favorable. De plus, j’avais oublié des papiers chez l’agent, Messieurs Folquet Frères. J’ai donc decidé de revenir au port. Mais au moment de la manœuvre qui consistait à virer de bord, le bateau n’a pas répondu et poussé par le courant très fort à l’entrée de la passe et le vent, le navire est venu s’échouer sur la pointe du Cap Noir. Avec mes 12 hommes formant mon équipage, et moi-même, nous avons réussi à gagner la terre sans le moindre incident. Mon navire est assuré mais j’ignore totalement dans quelle société. J’estime que mon bateau doit être considéré perte totale, sa cargaison se composant de 180 quintaux de morue salée ».
Le capitaine Angus Hines ajouta :
« le bateau était âgé de 12 ans, et était immatriculé à Gloucester (U.S.A.). Il appartenait à la Gordon Pew Fisheries de ce même port ».
A 10 h 30 du matin, relate le gendarme Jean Marie Fardel en service à Langlade, Monsieur Gregorio Larranaga, fermier à Langlade me fit la déclaration suivante:
« Je viens d’apercevoir un navire éhoué sur la cote ouest de Langlade au lieu dit la Crevasse. Ce navire est une goélette à hunier et elle doit être chargée de légumes car il y a une très grande quantité de choux sur le sable. Deux doris ont été mis en pièces par la mer. Je n ai pas vu trace de vie à bord ni autour du navire. »
Le remorqueur « Saint-Pierre » étant ce jour-là à Langlade, nous sommes immédiatement partis sur les lieux du naufrage. En arrivant près du bateau, nous avons appris qu’il y avait un survivant qui se trouvait dans une ferme voisine. Ce navire était le « Mary-Smith » et son équipage se composait de six hommes.
La goélette était montée très haut sur la dune et ensablée assez considérablement avec une gîte énorme sur tribord. On pouvait observer un homme mort dans les haubans. A ce moment il nous était impossible de monter à bord. Nous avons appris de M. Jean-Marie Olivier, qu’il avait trouvé un corps sur le rivage à environ 300 mètres de la goélette. Nous avons placé ce corps dans la petite chapelle et nous avons organisé un service de gardiennage du navire.
Nous avons su que trois survivants avaient réussi à gagner le bourg de Miquelon. Nous nous sommes mis en route pour cette localité où nous avons rencontré les trois rescapés au domicile du maire, M. Dominique Borotra.
Le capitaine J. Lewis nous a dit que son navire avait une jauge de 95 tonnes et qu’il appartenait à M. Georges Smith de Harbour Breton, Terre-Neuve. Il avait quitté Halifax dimanche matin pour Saint-Pierre, avec un chargement de charbon et de légumes. Le lendemain, lundi, il avait eu beau temps mais le mardi il avait subi une forte tempête.
« Cette nuit-là, j’ai aperçu une lumière, mais à cause de l’état de la mer je l’ai prise pour le feu du Cap Blanc de Miquelon. Pensant que j’avais été drossé au nord de ma route, j’ai continué dans cette direction dans l’intention de contourner le Cap de Miquelon, puis d’entrer dans la Baie et de continuer ma route en direction de Saint-Pierre. Peu de temps après, j’ai de nouveau vu un autre feu que j’ai pris pour celui du chenal. J’ai changé de route pour pouvoir entrer dans la Baie et m’y abriter. Quelques instants plus tard nous étions echoués. Immédiatement le pont fut recouvert par les vagues. Devant ce danger, je suis monté avec mes hommes dans les haubans pour attendre l’aube. Nous nous sommes échoués à 8 heures du soir et constamment pendant toute la nuit j’ai parlé aux hommes pour qu’ils ne succombent pas la fatigue et au sommeil. A environ 5 heures du matin, un des hommes ne répondit plus quand je lui parlais. Vers 7 heures les quatre autres hommes et moi-même avons quitté le navire. Nous avons sauté dans l’eau glacée. Ne connaissant pas la région, nous nous sommes dirigés vers la lumière du feu du Cap Blanc de Miquelon. Deux de mes hommes étaient complètement exténués et j’ai dû les abandonner sur le rivage. Nous sommes arrivés à Miquelon aux environs de midi. Plus tard j’ai appris qu’un des deux hommes que nous avions laissés derrière nous était mort sur la grève et que l’autre avait eu la chance d’être recueilli dans une ferme. »
L’homme mort sur la grève se nommait Thomas Sanders, il était âgé de 35 ans et celui qui est mort pendant la nuit à bord du navire se nommait Vincent Cox et était âgé de 23 ans.
Le 28 novembre 1908, le croiseur français « Amiral Aube » jeta l’ancre dans la rade de Saint-Pierre. Le croiseur avait à son bord Monsieur Didelot Administrateur des Colonies. Faisant suite à la loi Combres, relative à la laïcisation et à la liberté de l’Enseignement, plusieurs manifestations s ‘organisèrent à Saint-Pierre où la foule défila dans les rues. Le gouverneur de la colonie exagérant le péril, crut bon de demander au Département l’envoi d’un bateau de guerre pour rétablir l’ordre et assurer sa sécurité. Quand le commandant du croiseur, son état-major et le nouvel administrateur débarquèrent, ils s’aperçurent immédiatement que la présence du croiseur à cette époque sur la rade ne se justifiait pas.
Néanmoins chaque après-midi, avant la chute du jour, une grosse chaloupe à vapeur quittait le croiseur, emportant à son bord une patrouille de marins qui assurait le service d’ordre pendant la nuit et regagnait le croiseur dans la matinée du lendemain.
Le 14 décembre, une chaloupe à vapeur dans laquelle avaient pris place sept hommes quitta le croiseur vers 17 heures. Le vent ce jour-là, soufflait très fort du Sud-Ouest et il était accompagné de très fortes bourrasques de neige, que les Saint-Pierrais nomment « poudrin ». Cette chaloupe n’arriva pas à sa destination, le barachois de Saint-Pierre. Des les premières heures de la matinée du lendemain, les secours et les recherches s’organisèrent tant du croiseur que parmi les habitants dont un grand nombre possédait des embarcations. Toutes ces recherches s’avérèrent vaines et pour cette chaloupe on employa la terminologie hélas trop souvent répétée « perdue corps et biens ».
Le Commandant du croiseur promit une prime importante à celui qui trouverait la chaloupe. Les recherches furent reprises par quelques embarcations. Un pêcheur de l’Ile aux Chiens, Louis Arondel, eut l’idée d’adapter un verre de compas (boussole) sur un tuyau de tôle d’environ 1,50 m de longueur. Avec cette sorte de loupe qui lui permettait, même avec une petite brise de faire des recherches, il se mit de nouveau en campagne. Dés le premier jour, en inspectant le fond entre le croiseur et l’Ile Massacre, il vit la chaloupe à environ 500 mètres de cette île, qui reposait sur le fond. Une bouée de liège, préparée à cet effet, fut jetée à l’eau au-dessus de l’épave, et le pêcheur alla immédiatement prévenir le commandant du croiseur.
Le commandant du navire de guerre donna immédiatement des ordres pour que la chaloupe soit récupérée dans les plus brefs délais. Le lendemain le temps étant favorable, une équipe dotée des apparaux de levage du croiseur releva la chaloupe. Celle-ci était intacte, mais hélas les sept occupants manquaient à l’appel et leurs corps ne furent jamais retrouvés. On décerna au pêcheur de l’Ile aux Chiens, la prime convenue ainsi qu’un témoignage de satisfaction. Le haut fonctionnaire qui avait demandé la venue du croiseur fut rappelé en France. Néanmoins cette décision disciplinaire ne pouvait rendre la vie aux sept marins disparus de façon aussi stupide.
L’Era était un navire américain chargé de marchandises diverses: phonographes, fusils et un grand nombre d’articles varies. Ce bateau fut jeté à la cote par une nuit d’encre. La nuit était telle que le capitaine donna ordre à ses hommes de mettre le feu dans des matelas pour leur permettre d’aborder la terre avec un peu plus de sécurité.
Le capitaine ordonna à son équipage de se munir de fusils car il avait peur d’être attaqué par les sauvages, à cause de leur destination qui était la Baie d’Hudson. La cargaison du navire devait être échangée avec les Indiens et les Esquimaux pour des fourrures devant être ensuite acheminées sur le marché de New-York.
Les flammes alimentées par les matelas attirèrent l’attention d’un gardien de phare, Monsieur Dodeman. Celui-ci accourut très vite sur les lieux et fut aimablement accueilli par les matelots armés jusqu’aux dents. Le gardien du phare leur expliqua en anglais qu’ils avaient fait naufrage non loin de la Pointe Plate aux îles Saint-Pierre et Miquelon. Mais ils refusèrent de le croire et continuèrent à braquer leurs fusils sur le pauvre gardien très peu rassuré, jusqu’au moment où ils se trouvèrent au pied de la tourelle du phare. Les naufrages furent réconfortés et hébergés chez les gardiens.
Une grande partie du chargement fut sauvée. En reconnaissance de l’hospitalité généreuse du gardien Dodeman, le capitaine de « l’Era » lui fit cadeau d’un phonographe et d’un fusil. 60 ans après, ces deux articles sont pieusement conservés chez les descendants de ce gardien de phare génereux, pour qui ces objets représentent plus que de simples reliques arrachées à la mer par leur aïeul dans la cale de « l’Era » au cours d’une nuit de tempête, au début du siècle.
Léon Laignel était un gendarme en service à Langlade. Il relata qu’un fermier du nom de Jean-Marie Olivier, agé de 43 ans, était venu le voir et lui avait déclaré le 2 août 1905, à 6 heures du matin, qu’il y avait un navire échoué sur la côte est de la dune de Langlade.
Laignel et Olivier se sont rendus ensemble sur la dune et ont vu un trois-mâts peint en blanc échoué sur le sable au lieu dit « Pointe du Guindeau ». Les deux ancres de bâbord et tribord étaient en position de mouillage et la voilure et le gréement ne paraissaient avoir subi aucun dommage. A ce moment l’état de la mer ne permettait pas une communication entre la terre et le navire.
Le lendemain matin à 11 heures le vent avait tourné à l’ouest et l’état de la mer était très bon. Le capitaine fit mettre une baleinière à la mer, le long du bord et quelques minutes après il vint à terre. Un commerçant de Saint-Pierre nommé Charles Landry, était présent, et ce fut lui qui servit d’interprète.
Le capitaine John Tizard commandait le bateau échoué, le « Flora », un très beau trois-mâts de 289 tonnes immatriculé à Saint-Jean de Terre-Neuve. Il était parti de Saint-Jean pour Baleina (Terre-Neuve) avec un chargement de fûts vides pour y prendre de l’huile de baleine. Dans la journée du 1er août il avait eu du mauvais temps près des îles Brunett. Le vent avait augmenté et l’avait drossé sur la côte de Langlade. Il manœuvra toute la soirée le long cette côte qu’il s’efforçait de ne pas approcher de trop près. Mais le vent augmentant d’intensité, la brume épaisse et la nuit noire le rejetèrent sur cette côte, où il s’échoua sur un banc de sable à 1 h 30 dans la nuit du 2 août. Le capitaine Tizard dit que son bateau était assuré pour une somme de 1,500 livres anglaises à la Royal Insurance Company de Liverpool.
Le « Flora » avait un équipage de 9 hommes et un passager. Le capitaine avait également avec lui à bord sa femme, sa fille et sa petite-fille. Le capitaine déclara qu’il enverrait son maître d’équipage à Saint-Pierre pour adresser un télégramme à l’agent d’assurance et qu’en attendant il resterait à bord de son navire.
Le gendarme indiqua que la veille à 5 h 30 il avait observé le « Flora » se dirigeant sur Miquelon. La position du navire se situait sur une ligne partant du Cap aux Morts au Cap Vert. Le gendarme précisa que le bateau faisait route avec une grande partie de sa voilure. Il précisa l’avoir vu virer de bord avant d’arriver au Cap Vert et qu’il mit ensuite le cap sur la dune en se rapprochant. Il observa le « Flora » jusqu’à 9 h 30 du soir jusqu’au moment où la nuit tomba et lui fit perdre sa trace. Messieurs Olivier et Paturel qui tous deux avaient observé longtemps les mouvements du navire, ont déclaré qu’ils avaient la conviction qu’il cherchait un endroit favorable pour s’échouer sur la dune.
M. Olivier affirme qu’il était très facile au capitaine du bateau de prendre le large. Pourquoi ne l’a-t-il pas fait ? De plus, il trouve surprenant que le bateau se soit brisé si vite alors qu’il était simplement échoué sur un banc de sable. De plus le bateau, qui avait un très léger lest constitué par des barils vides, du fait qu’il était léger, aurait du monter beaucoup plus haut sur la dune. D’autres personnes présentes sur les lieux, déclaraient qu’une brise de cette sorte ne met pas un bateau en danger. Pour donner plus de force à leur argumentation, ils affirmaient qu’une petite goélette mouillée dans l’anse de Langlade, avait été observée des baraques de gendarmerie. A 4 h 30 du matin, cette goélette avait appareillé toutes voiles dehors en direction de Terre-Neuve. Le « Flora » s’était échoué avec des vents d’est-sud-est. Au matin, le jour de l’échouage des gens de terre remarquèrent que sur le pont du trois-mâts se trouvaient trois hommes apparemment indifférents, qui ne faisaient aucun signe dans le but de manifester leur présence, et qui par la même occasion prouvaient qu’ils ne tenaient pas à entrer en communication avec la terre.
Est-ce que le « Flora » fut échoué délibérément et volontairement ? Personne n’a jamais pu répondre à cette question. Tout ce que l’on sait, c’est qu’il y avait une forte assurance. Un mystère de plus a ajouter à ceux que renferme cette dune de Langlade, véritable nécropole de navires.
« Un bienfait n’est jamais perdu » dit un vieux proverbe français. Eh bien, ce n’est pas toujours vrai. Le naufrage du « Charles Ball » le prouve de façon indiscutable. L’équipage du navire « Blanche M. Rose » fut victime de l’ingratitude manifestée à son égard par le capitaine norvégien Bie et l’équipage du navire « Charles Ball », un trois-mâts norvégien vieux de 33 ans, jaugeant 708 tonnes, immatriculé dans le port de Grimstad, Norvège.
Le capitaine Bie et son équipage de 12 hommes avaient quitté le port de Miramichi, New Brunswick, avec un chargement complet de bois qu’il transportait a Belfast en Irlande.
Sur le Banc de Saint-Pierre, le « Charles Ball » se trouva en vue d’une goélette de Terre-Neuve, le « Blanche M. Rose ». Tous les doris étaient en pêche et ils revenaient tous les jours avec de magnifiques captures. Le capitaine James Woonday, de Harbour Breton (Terre Neuve) relata que le capitaine norvégien lui avait signalé par pavillon que le « Charles Ball » ayant une forte voie d’eau était prés de couler et que l’équipage demandait à être transporté à bord du navire terre-neuvien. Le capitaine Woonday déclara en plus: « M’adressant au capitaine norvégien, je lui dis qu’étant obligé d’abandonner les lieux de pêche pendant plusieurs jours, l’équipage allait subir un préjudice. Il me répondit : « Vous pouvez être assuré que vous ne perdrez rien et la perte subie sera remboursée intégralement par mes armateurs ». Je fis rallier le bord à tous mes doris à 7 heures du soir le 4 septembre. Je pris à mon bord le capitaine Bie et son équipage et je levai mon ancre, puis partis pour Saint-Pierre.
Nous sommes arrivés à Saint-Pierre le 7 et l’équipage norvégien fut mis à terre. Je demandai au capitaine norvégien des précisions sur la façon dont je serais payé. Il me répondit que cela s’effectuerait par le gouvernement norvégien. C’est alors que je lui ai demandé de me signer, devant les autorités officielles, une attestation prouvant de façon claire que je l’avais tiré d’un mauvais pas. Il refusa net de signer cette attestation. Il poussa même l’incorrection en dédaignant de me remercier de ce que j’avais fait pour lui et ses hommes, c’est-à-dire de leur avoir sauvé la vie.
Le S.S. « Monterey » appartenait à une filiale de la Canadian Pacific nommée « Atlantic Steamship Lines », en route de Montréal pour Liverpool. Au phare de la Pointe Plate, a l’extrémité ouest de l’île de Langlade, on éteignait le phare à quatre heures du matin, pendant la saison d’été, telles que le prescrivaient les instructions données aux responsables de la lanterne. Ce jour-là le temps était clair et le gardien de service au phare était occupé à nettoyer tout le matériel éclairant de la lanterne.
A 4 h 30 le gardien chef observa au large des bancs de brume et aussitôt il notifia à son assistant d’allumer la chaudière qui permettait d’avoir la valeur requise pour le bon fonctionnement de la sirène d’alarme.
Vers 4 h 55 la terre était toujours visible dans un rayon assez grand autour du phare. La sirène d’un steamer fut entendue au large aux environs du 3150 (nord-ouest). Cinq minutes plus tard, on fit partir un coup de canon pour signaler la présence de la terre. Le canon était employé quand la sirène n’était pas en opération, ou au moment où la vapeur n’était pas encore assez forte pour pouvoir faire démarrer la sirène.
Le vapeur s’échoua à 5 h 15. Le vent soufflait légèrement du sud-ouest et la mer était très plate. Cinq minutes plus tard, la pression était suffisante et permettait de lancer le premier coup de la sirène de brume. A 6 heures le temps était encore clair, mais une heure et demie après, la brume entoura tout le secteur et dura jusqu’à onze heures du matin.
Le « Monterey » sous le commandement du capitaine Williams, s’échoua à la Pointe aux Goélands, à environ 700 mètres au sud du phare. Sa vitesse au moment de l’échouage était de l’ordre de 12 nœuds. Tout fut mis en œuvre pour essayer de retirer le vapeur de sa fâcheuse position, mais tous les efforts furent vains. Le bateau à ce moment était a environ 80 mètres du rivage. Cet échouage fut enregistré sur le livre de service que tenait ouvert le gardien chef du phare de Pointe Plate. Deux jours après l’échouage, le représentant de l’armateur et le pilote, Pierre Gervain, de Saint-Pierre, rendirent visite au capitaine du « Monterey » et apprirent que le steamer avait navigué dans la brume depuis son départ de Montréal. Dans son rapport de traversée et d’échouage, le capitaine du « Monterey » relate qu’il n’avait pas eu connaissance du Cap Ray à cause de la brume qui était très épaisse. Il pensait que sa route le ferait passer au moins entre 12 et 15 milles de Pointe Plate. Le capitaine Williams ignorait que la violence du courant fut aussi grande sur la route où il naviguait. Voici un extrait de la déclaration qu’il fit aux autorités maritimes de Saint-Pierre:
« Je suis navré et j’ai une grande amertume d’avoir perdu mon navire le steamer anglais « Monterey » de Liverpool, de 3489 tonnes de jauge nette. Ce jour-là 14 juillet, j’effectuais ma navigation avec beaucoup de soins et d’attention car il y avait de la brume, à la poursuite de mon voyage sur l’Angleterre. J’affirme qu’au moment de l’échouage aucun signal sonore n’a été entendu nous donnant des renseignements sur la présence de la terre. Le premier signal venu de la Pointe Plate fut un coup de canon dix minutes après l’échouage de mon navire. Le canon continua a être entendu mais ce fut deux heures après l’échouage que nous avons entendu le premier signal donné par la sirène de brume.
Le second officier, M. James A. Howard, a recueilli à terre des renseignements qu’il a relatés dans un rapport écrit. Il me plairait que ce rapport soit enregistré d’une façon officielle. Le second officier Howard s’était rendu le 15 juillet vers 8 heures du soir dans une des maisons du gardien. Il affirme que l’épouse du gardien chef lui aurait dit: « C’est vraiment une pitié de voir un si beau bâtiment sur les cailloux ». Il répondit à la dame: « Si un signal de la terre eut été émis, nous n’aurions pas perdu notre bateau ». Il lui demanda si son mari était de service au moment de l’échouage. Elle répondit: « Non, mon mari avait terminé son service à minuit, et il devait le reprendre à 6 heures du matin. » Elle ajouta: « Mon mari s’est levé à 5 heures et il a regardé par la fenêtre. Immédiatement il s’est écrié : « Mon Dieu, quelle brume ! … Mon Dieu, un vapeur échoué, et la sirène et le canon qui ne fonctionnent pas… ». J’ai demandé à mon mari: « Qui est de service? ». Il m’a répondu: « C’est le deuxième mécanicien, mais il s’est endormi. »
Le « Monterey » avait une cargaison de marchandises diverses, en particulier des grains, du beurre, des fromages et 1090 têtes de bétail. L’équipage et des gardiens spécialisés, au total 110 hommes, s’occupaient de ce troupeau pendant ce voyage. Que pouvait-on faire avec tout ce cheptel ? La terre de Pointe Plate n’offrait aucune possibilité permettant de nourrir un tel nombre d’animaux. Deux petits steamers, « l’Argyle » et le « Grand Lake », accostèrent le « Monterey » et prirent à leur bord tous les animaux que leur capacité de cale et de pont permettait de transporter. Le reste du troupeau fut mis a terre en le jetant par-dessus le bord !
Cet ordre fut donné par les agents d’assurance, car il y avait du mauvais temps qui arrivait. Une faible partie des bœufs débarqués grimpèrent sur les collines avoisinantes, mais la plupart resta prés du phare. N’ayant pas de nourriture depuis plusieurs jours et fascinés la nuit par la lumière aveuglante du phare, les bœufs chargeaient constamment et mirent en pièces toutes les clôtures autour des bâtiments ainsi que les palissades qui entouraient les jardins des gardiens. Ils occasionnèrent un dégât considérable aux installations. Les gardiens et leur famille étaient prisonniers dans leurs maisons, car ils ne pouvaient sortir à cause de la furie de ces bêtes qui les poursuivaient. Le gouvernement des îles Saint-Pierre et Miquelon demanda que les bêtes soient abattues le plus rapidement possible, et que tous les dégâts occasionnés par ces animaux sur les installations du phare et des gardiens soient remboursés par la compagnie d’assurance.
L’histoire du naufrage du « Monterey » laissa dans la mémoire des habitants de nos îles un indélébile souvenir. De nos jours les anciens le rappellent et le font connaître aux jeunes générations peu au courant de pareilles aventures maritimes.
Dans la soirée du 24 décembre 1902, le trois-mâts français « Paulette » (ancienne « Sambre et Meuse ») était sur les atterrissages de l’île de Saint-Pierre sous le commandement du capitaine Louis Girardin dit « Casse-tête ». Ses amis lui avaient donné ce surnom parce que le capitaine Girardin était très dur sur la toile, c’était ce qu’on appelait a l’époque un « mangeur d’écoutes ». Sa méthode qui consistait par grand vent à tenir le plus de toile possible lui occasionnait quelquefois des déboires, en particulier des avaries dans ses mâts de hune, d’où le sobriquet de casse-tête ».
Cette soirée du 24 décembre, le vent soufflait fort du Sud-Est, avec des grains de neige. Soucieux qu’il était, ainsi que son équipage, d’être en famille pour la veillée et le réveillon de Noël, le capitaine Girardin avait l’intention de franchir la passe du Sud-Est, et pour le faire avait conserve une grande partie de sa voilure, ce qui donnait au navire une assez grande vitesse.
Peu avant minuit, au moment d’une éclaircie, le capitaine Girardin vit sur tribord un feu fixe blanc. Il prit ce feu pour celui du secteur blanc du phare de la Pointe Leconte (extrémité de l’île aux Chiens) or ce feu n’était pas celui de l’île aux Chiens. C’était tout simplement la lumière blanche du fanal du bedeau de l’Eglise de l’île aux Chiens, qui était au clocher s’apprêtant à sonner les cloches pour la messe de Minuit.
Un grain de neige s’abattit sur le navire empêchant toute visibilité. Quelques minutes après que le grain de neige enveloppe le navire, une forte secousse l’ébranla de la quille à la pomme des mâts. C’était l’échouage mais le capitaine ne pouvait déterminer l’endroit ou il avait fait côte, car la neige tombait toujours poussée par le vent qui augmentait d’intensité. Enfin voici l’éclaircie permettant de voir la terre. A moins de 100 mètres la « Paulette » se trouvait en face du cimetière de l’île aux Chiens.
L’équipage se mit a crier au secours et des personnes se rendant a l’église pour assister à la messe donnèrent l’alarme. Un grand nombre de personnes se trouvait dans l’église, parmi lesquelles le père de l’un des auteurs, se précipita curé en tête au secours des malheureux naufragés. Après de longues heures d’efforts, l’équipage de la « Paulette » fut entièrement sauvé et partagea le réveillon de la population de l’île.
Tous ces braves gens après ce naufrage pensèrent que cet acte courageux qu’ils venaient d’accomplir en faveur des naufragés, était le meilleur cadeau de Noël qu’ils puissent recevoir et qu’ils avaient connu de toute leur existence.