05/10/1923 : Nathaly J. Nelson

L’histoire de ce naufrage peut se rattacher à cette époque que les Saint-Pierrais nommèrent « Le temps de la fraude ». En 1919 le Gouvernement des Etats-Unis fit voter une loi que l’on désigna sous le nom de loi Volstead, du nom de l’homme politique américain qui proposa cette loi au parlement américain. Cette décision politique consistait à interdire toutes les importations d’alcool aux Etats-Unis. Plusieurs pays profiteront de l’occasion en introduisant clandestinement des alcools dans le pays précité. Les îles Saint-Pierre et Miquelon n’échappèrent pas à cette action, et ce trafic qui apporta aux îles des sommes considérables dura de 1920 à 1935, où la France mit fin à ces activités de contrebande. Il faut reconnaître que ce trafic considéré par les Américains et les Canadiens comme illicite ne l’était pas pour les Français.

Pendant ces quinze annees, de nombreux cargos amenèrent d’Europe des milliers de caisses de whisky, champagne, cognacs et liqueurs de toutes sortes. Une importante flottille de vedettes (rhum runners) emportaient ces alcools sur la côte américaine et livraient leurs cargaisons au moment de la nouvelle lune (lune noire) de préférence. Le gouvernement français subit de telles pressions pour faire cesser ce trafic que certaines décisions furent prises après les annees 1930-1932, mais en réalité le trafic continua jusqu’au moment où le gouvernement américain se décida à abroger la loi.

Le Nathaly J. Nelson était une magnifique goélette appartenant au Capitaine Stephen Fudge de Cloucester, U.S.A. Ce bateau officiellement pratiquait la pêche, mais en réalité, il faisait la contrebande de l’alcool. Ce genre de trafic était très prisé à l’époque. On mettait l’alcool au fond de la cale, et on arrimait de la morue salée par dessus. Les cutters américains furent très souvent trompés par les fraudeurs qui pouvaient impunément livrer l’alcool à leurs clients. Le Nathaly J. Nelson avait une jauge de 117 tonnes.

Il avait quitté Belloram (Terre-Neuve) le 17 septembre. Sa cargaison se composait de 85 tonnes de whisky qu’il transportait à Tayol, port des Bahamas, non loin de Nassau. Le temps étant incertain, le Capitaine Fudge décida de relâcher dans le port de Saint-Pierre. La brume entourait le navire depuis son départ de Belloram, et c’était le moment d’une « marée de syzygie » qui amplifie le courant d’une façon considérable. Le capitaine Fudge se croyait à plusieurs milles au large de l’île de Saint-Pierre quand brusquement le navire fut ébranlé par un choc formidable. C’était l’échouage sur la côte Sud de Saint-Pierre, à la Pointe Blanche exactement.

Quand l’aube parut le capitaine s’aperçut que son navire était échoué sur des rochers d’où il ne pourrait être retiré. Après que l’équipage eut évacué le bord, les experts considérèrent que le navire devait être déclaré perte totale. Environ un cinquième de la valeur de la cargaison évaluée a 5,000 dollars put être sauvée.

30/09/1923 : Troutpool

Troutpool (Photo Docteur Louis Thomas. Coll. Yvonne Andrieux)

Le vapeur anglais « Troutpool » est venu s’échouer dans la soirée du 30 septembre à un endroit nommé « Diamant » sur la côte sud de l’Ile de Saint-Pierre. L’équipage de ce navire fut sauvé mais le bâtiment termina sa carrière sur ces rocs. La première partie du bateau qui se désintégra fut l’arrière, à cause des vagues qui déferlaient sur cette section du navire. Au cours des annees qui suivirent, la mer par son travail incessant brisa le bateau en menus morceaux. Plus de cinquante ans après ce naufrage, on peut voir encore des vestiges de ce qui était à cette époque un cargo moderne.

24/04/1923 : Raymond

Au printemps 1923 les icebergs étaient très nombreux depuis le point de latitude de Saint-Jean de Terre-Neuve jusqu’à dépassé le point de latitude du Bonnet Flamand, le banc de pêche le plus loin dans l’Atlantique. Deux jours avant, le trois-mâts français « France et Bretagne » avait été la victime d’un de ces icebergs géants parsemés dans l’océan sur une distance considérable.

Le 24 avril, le trois-mâts français « Raymond » immatriculé à Fécamp, jaugeant 420 tonnes, commandé par le capitaine Jean Heuzé, était en route pour les lieux de pêche. La vitesse du navire était de l’ordre de trois nœuds, la brume très épaisse ne laissait qu’une visibilité de l’ordre de 20 à 25 mètres.

Soudain le navire se trouva en présence droit devant d’un énorme iceberg. Il était impossible de manœuvrer assez rapidement pour éviter cette masse de glace, le choc se produisit et il fut fatal pour le pauvre bateau. Fait à signaler, le capitaine du « Raymond » n’avait pas constaté de changement de température avant la collision. Généralement cet abaissement de température est très caractéristique du voisinage des icebergs. Le capitaine prit les mesures nécessaires pour assurer le sauvetage de son équipage.

Les doris furent mis à la mer et on embarqua d’amples provisions au cas où le séjour dans les doris se prolongerait. Ces malheureux ne se faisaient pas d’illusions. Ils savaient qu’ils allaient à la rencontre de nombreuses souffrances de toutes sortes, fatigue, froid, désespoir, et dans les jours qui suivirent, deux marins moururent d’épuisement. Huit doris avaient quitté le « Raymond ». Le capitaine avait donné des instructions pour rester groupés, malheureusement quelques jours plus tard, deux doris se séparèrent dans la brume et disparurent au grand regret de leurs compagnons d’infortune.

Le désespoir commençait à faire ses ravages parmi les équipages des doris perdus sur la mer, lorsqu’ils entendirent à petite distance la corne à brume d’un bateau. Les 28 hommes des doris poussèrent un véritable hurlement de détresse qui fut entendu à bord du navire qui s’approchait. Le capitaine de ce navire mît en « panne » et fit mettre à la mer un doris monté par trois hommes, qui partit faire des recherches aux alentours. Il ne tarda pas à apercevoir les doris et à les guider ensuite vers la bateau sauveteur. Moins d’une heure après les malheureux naufragés se trouvaient sains et saufs à bord du trois-mâts « Carioca » de Saint-Malo. Ils remercièrent chaleureusement le capitaine et l’équipage de ce bateau de les avoir sauvés. Ils remercièrent la providence d’avoir placé sur leur route un bateau sauveteur pour leur permettre de vivre et de retrouver leurs familles, que pendant de longues heures ils avaient bien cru ne jamais revoir.

23/04/1923 : France et Bretagne

Je soussigné François Bausire, capitaine du trois-mâts « France et Bretagne », d’un tonnage net de 480 tonnes et appartenant à Monsieur Pierre Malliey, déclare :

J’ai quitté Saint-Malo le 19 mars 1923 à destination du Grand Banc de Terre-Neuve. La traversée s’est déroulée avec des vents variables soufflant du sud-ouest et du nord-ouest. Quelquefois le vent a été si fort que nous avons été obligés d’amener de la voilure. Ce mauvais temps a continué jusqu’au 21 avril. Le 22 avril il y a eu un fort orage qui a duré toute la journée et le lendemain 23, il y avait une brume épaisse avec de fortes variations de température. Le même jour à midi, pensant trouver des icebergs sur ma route, j’ai recommandé à mes officiers d’observer une veille attentive. Le 24 avril, la brume était encore plus épaisse avec une petite brise soufflant du nord-ouest. A dessein, j’ai réduit ma voilure, la vitesse était d’environ trois à quatre nœuds et à 11 h 30 la position était de 46°21 de longitude ouest. Un homme qui était de veille a crié soudainement « glace à tribord ».

J’ai immédiatement donné ordre de changer d’amures et d’amener les voiles d’étai. La manœuvre s’est effectué aussitôt mais la collision était inévitable. Un autre iceberg était visible sur bâbord et les deux icebergs étaient réunis entre eux par une sorte de collier. Encore une fois j’ai fait changer les amures des voiles, dans le but de nous écarter des deux énormes blocs de glace. Cette manœuvre a duré environ 15 minutes, mais pendant ce temps le fond du navire avait frotté longuement et nous avions une grave déchirure à la coque.

Nous avons réussi à faire démarrer immédiatement notre pompe mécanique, mais nous avons remarqué que nous avions une voie d’eau très importante. La pompe évacuait de l’eau noire, ce qui expliquait que le charbon avait pénétré à l’intérieur de la pompe me faisant craindre qu’elle finisse par se boucher. J’ai fait mettre en route une autre pompe dans le poste d’équipage. Après plusieurs sondes prises dans la cale par le second officier, celui-ci m’a informé que nous perdions du terrain, que l’eau montait plus vite que les pompes pouvaient l’évacuer. J’ai fait descendre une petite voile dans la cale dans le but de colmater la brèche. Nous avons changé le sel de place et des signaux de détresse ont été lancés avec la corne à brume et le canon. Mais aucune assistance n’est venue. Avant que la nuit descende j’ai fait allumer les feux de position.

Les pompes ont fonctionné sans interruption jusqu’à 1 heure du matin la journée du 25 avril. Voyant que l’eau continuait à monter dangereusement, je me suis aperçu que la perte du navire était inévitable. Nous avions de l’eau jusqu’au faux-pont. J’ai alors consulté l’équipage et à l’unanimité il a été décidé d’abandonner le navire. J’ai fait préparer les doris et j’ai désigné chaque homme devant embarquer dans chaque doris. Notre départ du navire s’est passé sans incident et nous avons embarqué dans les doris une assez grande quantité de provisions afin de nous permettre de survivre plusieurs jours. Le patron de chaque doris a reçu des instructions relatives au contact à maintenir entre tous les doris et à se tenir à une distance toujours visuelle le jour comme la nuit avec leur lumière. A 2 heures du matin nous avons évacué le navire. Je suis resté à bord le dernier comme il se doit pour un capitaine. Cependant nous sommes restés près du bateau. A 4 heures le matin accompagné de quelques officiers, je suis retourné à bord du « France et Bretagne ».

Le navire était aux trois-quarts rempli d’eau. Nous avons pu pénétrer dans le poste d’équipage ou nous avons mis le feu, après l’avoir imbibé d’essence. Ce feu mis volontairement n’avait qu’un but, faire disparaître le bateau rapidement afin qu’il ne devienne pas un danger pour la navigation.

Toute la journée la brume nous a entouré avec absence totale de vent. J’ai donné l’ordre à tous les patrons de doris au cas où l’un d’eux serait séparé des autres, de gouverner en direction de l’ouest. C’était le meilleur espoir de trouver un bateau et d’être récupérés. Nous sommes restés sur place jusqu’au moment où le navire a disparu de la surface de la mer.

J’ai remarqué avant notre départ que déjà deux doris s’étaient séparés du groupe et qu’ils disparaissaient dans le brouillard. J’ai pris la route vers l’ouest avec tous les autres, et à plusieurs reprises nous avons rencontré plusieurs icebergs géants qui défilaient, entraînés par le courant. Le 26 le vent soufflait en force du sud-ouest, trois autres doris ont disparu. Le 27 nous avons eu du calme pendant tout le jour ; le 28 le vent s’est levé de nouveau, ce qui a eu pour effet de faire disparaître la brume qui nous entourait. Vers 11 heures du matin, nous avons aperçu sur tribord un trois-mâts et une autre goélette sous voiles. Nous avons hissé notre petite voile pour indiquer notre présence, mais la brume est revenue de façon soudaine et nous n’avons pas été aperçus. Deux heures après, nous avons vu un autre trois-mâts sous voiles, il nous remarqués et a fait route dans notre direction. A quatre heures de l’après-midi, cinq doris avec un total dix-huit hommes ont accosté. Les hommes sont montés à bord de « Anne de Bretagne » de Cancale. Dans ce rapport, je tiens a remercier le capitaine Mathurin de « Anne de Bretagne » qui a accueilli une partie de mon équipage et moi-même qui avions souffert durement dans nos doris pendant trois jours et quatre nuits dans la brume, le froid et parmi les icebergs. Je suis resté très soucieux car j’étais sans nouvelles de vingt autres hommes de mon équipage qui se trouvaient dans cinq doris.

Nous avons mouillé sur le Grand-Banc le 1er mai. Ce jour-là quatre de mes hommes furent transférés sur le « Pépita » de Saint-Malo, quatre sur le « Minerve » de Cancale, et quatre sur « l’Amiral Gervais » de Saint-Malo. Je suis resté jusqu’au 19 mai sur « Anne de Bretagne » avec six hommes. Le 19 nous avons tous embarqué sur le navire de guerre français « Régulus » qui nous a débarqués à Saint-Pierre le 25.

Durant la traversée nous avons appris que quatre hommes de « France et Bretagne » avaient été récupérés par le navire ‘Raymonde’ de Granville. Nous n’avions pas d’autres nouvelles des dix-huit hommes qui manquaient encore.

Roy Spindler, capitaine et armateur de la goélette « Bertha L. Walters » de Lunenbourg, Nouvelle-Ecosse, déclare que le 3 mai il était en pêche au mouillage à environ 220 milles marins dans le 160° de Saint-Pierre avec un lot de boëtte fraîche. A 11 heures du matin ce jour-là, un doris monté par quatre hommes a accosté le long de son navire. Ces quatre hommes étaient des français naufragés, rescapés du trois-mâts « France et Bretagne » qui avait heurté un iceberg le 22 avril et avait coulé à la suite de cette collision. Ces quatre hommes avaient passé neuf jours dans leur doris, ils étaient dans un état de fatigue extrême et certains d’entre eux avaient les pieds gelés. J’ai jugé qu’il était absolument nécessaire de tout mettre en œuvre pour sauver la vie de ces hommes. J’ai relevé mon ancre et je suis parti immédiatement pour Saint-Pierre. J’ai mis cinq jours pour gagner ce port. J’ai perdu sept à huit jours de pêche, j’ai également perdu ma boëtte. J’évalue ma perte à environ mille dollars.

Ceci est la fin de l’histoire du naufrage de « France et Bretagne », une autre victime de la mer, de la brume et également d’un autre danger, particulièrement redouté des marins, les icebergs.

13/01/1923 : Général Jacob

Il est rare dans nos îles de trouver un exemple de bateau qui a fait naufrage et de revoir ce bateau naviguer ultérieurement. Le cas qui nous intéresse est encore plus rare. Ce bateau ne s’est pas échoué seulement une fois, mais deux fois et après son second échouage il a pu de nouveau être renfloué et reprendre ses courses sur l’océan. Par la suite il est revenu assez souvent nous rendre visite dans notre port. Voici l’histoire du Général Jacob.

Ce bateau avait une jauge de 167 tonnes et son propriétaire était Monsieur Samuel Harris de Grand Bank, Terre-Neuve.

Le dimanche 14 janvier, écrit le Maire de Miquelon, je fus informé par le sieur Larranaga, fermier à Langlade, d’une mésaventure arrivée la veille. Pour m’informer il m’envoya un messager nommé Ernest Aubert qui était sourd et muet. Aubert écrivait très bien, et par écrit il m ‘informa qu’il y avait un navire échoué nommé Général Jacob, commandé par le capitaine Gordon Williams de Grand-Bank.

Le bateau avait 45 jours de mer et il revenait du Portugal avec un chargement de sel. Le navire s’était échoué vers midi la journée précédente. L’équipage s’était sauvé avec de grandes difficultés, étant donné que la mer ce jour-là était très mauvaise. C’était impossible de mettre une embarcation à la mer. Les hommes ont réussi à se sauver au moyen d’un va-et-vient établi entre le navire et la terre. Trois hommes étaient à la ferme Larranaga, trois autres à la ferme Olivier. Ernest Aubert est arrivé à Miquelon dans un état de fatigue extrême. Il avait fait la route en pleine tempête de neige, et à certains endroits il avait dû traverser des congères dont la hauteur lui atteignait la poitrine.

Le capitaine Williams a déclaré qu’il avait eu du beau temps pour traverser l’Atlantique jusqu’au Cap Sainte Mary (Baie de Plaisance, Terre-Neuve) mais que sa voilure avait été complètement détruite par une tempête soudaine qui l’avait fait dériver jusqu’à la dune de Langlade où il s’était échoué. Le navire après avoir jeté à la mer sa cargaison de sel a pu être renfloué et remorqué jusqu’à son port d’attache à Grand-Bank. C’était la seconde fois que ce bateau était renfloué, constituant presque un cas unique dans les annales maritimes de nos Iles. Il s’était échoué un an avant sur les rochers à Saint-Pierre à la suite de la rupture d’une de ses chaînes. Ce bateau qui avait la « barraka » était très connu des Saint-Pierrais, ainsi que celui qui le commandait, le capitaine Cordon Williams.

08/08/1922 : André-Pierre

Je soussigné Placide Daussy, capitaine du chalutier André-Pierre de Fécamp, d’un tonnage de 200 tonnes, déclare :

J’ai quitté le port de Fécamp le 6 juillet 1922, en route pour le Grand Banc de Terre-Neuve. Après avoir pris du charbon dans le port de Sydney, N.S., j’ai quitté ce port le 28 juillet pour aller pêcher sur le Grand Banc où je suis arrivé le lendemain et j’ai mis en pêche aussitôt. De ce jour jusqu’au 7 août j’ai pêché une très grosse quantité de poissons. Mon lot de sel étant épuisé, j’ai mis en route pour Saint-Pierre avec dans la cale environ 4000 quintaux de morue. La brume était très épaisse et la route donnée au timonier était à l’est. D’après les indications du lock nous avions parcouru 168 milles marins. La distance restant à franchir avant d’apercevoir la terre était de l’ordre de 20 milles. J’ai diminué de vitesse à cause de la brume encore plus épaisse à proximité de la terre. A 8 h 30 nous nous sommes échoués. Immédiatement j’ai renversé la machine, mais sans succès, le navire étant trop échoué pour que la machine puisse le renflouer. La brume continuait d’être très dense.

La mer n’étant pas très mauvaise, j’ai donné l’ordre de mettre une chaloupe à la mer le long du bord. Nous y avons déposé deux ancres que nous avons mouillées à environ 600 mètres sur l’arrière du navire. Nous avons viré sur ces deux ancres mouillées, mais cette manœuvre s’est terminée par un échec, car les deux ancres ont ripé sur le fond n’offrant aucune résistance à la traction. Le navire commençait à fatiguer et il talonnait très fort sous l’effet du vent et du gros ressac. Nous avons fait tout ce qu’il était possible de faire pour nous retirer de cette fâcheuse situation. Nous avons jeté une grande partie de notre charbon à la mer dans le but d’alléger le bateau ; malgré cela le navire était trop fortement empalé sur les rochers. Nous avons continué nos efforts jusqu’au moment du plus haut niveau de la marée montante, mais finalement il nous a fallu renoncer. Le navire prenait de l’eau par l’avant et par l’arrière.

Durant la journée le vent a été modéré mais il a augmenté de force ainsi que la mer autour du navire. J’ai décidé qu’une partie de l’équipage irait à terre. Il a réussi à y prendre pied, mais au prix de grandes difficultés. La chaloupe a chaviré trois fois le long du bord et il a fallu la vider à chaque fois. Je suis resté à bord avec quelques officiers et l’opérateur radio. Pendant la nuit il a été impossible d’effectuer aucune opération pour renflouer le navire. L’eau avait envahi la salle des machines. Nous avons pris contact avec Saint-Pierre au moyen de la télégraphie du bord. Nous sommes restés a bord le lendemain, et le surlendemain en début de soirée nous avons réussi à prendre pied sur la terre avec de grandes difficultés. Fort heureusement ce naufrage n’a occasionné que des pertes matérielles, car tous les membres de l’équipage se sont retrouvés tous à terre en sécurité.

Dans son rapport le capitaine Daussy n’indique pas le lieu du naufrage. Une fois de plus, le violent courant portant de façon constante au nord était responsable de ce naufrage. En effet le chalutier André-Pierre termina sa carrière sur les rochers de la Pointe au Cheval. La dune de Langlade méritait bien son nom de nécropole des navires.

03/07/1922 : Canadian-Commander

Seulement dix-huit mois après son entrée en service le Canadian-Commander fut victime de la brume, du courant, peut-être aussi d’une navigation incertaine qui le firent s’échouer sur les bancs de sable de la côte ouest de Langlade.

Ce navire appartenait au Gouvernement canadien ; il avait une jauge de 3,347 tonnes et un équipage de 47 hommes. Il avait quitté Montréal le 29 juin avec une cargaison de 8000 tonnes de grains et de marchandises diverses destinées aux ports de Londres et Anvers. La dernière observation d’astre avait été effectuée par le capitaine Maclean’s dans le Golfe Saint-Laurent à la hauteur de l’Ile Saint-Paul. Depuis cette observation, la brume l’avait obligé à naviguer à l’estime. La brume très épaisse persista jusqu’au moment où il s’échoua à Langlade. Puisqu’il lui était impossible de faire des observations de soleil ou d’étoiles, le capitaine se contenta de travailler avec les appareils de navigation qu’il possédait. Il utilisa régulièrement son sondeur toutes les demi-heures. Le 3 juillet vers sept heures du matin, il déterminait sa position à environ 12 milles de la Pointe Plate après avoir effectué une sonde qui lui indiqua 26 brasses d’eau. Se trouvant dans le nord de Pointe Plate, il déclara qu’à aucun moment il n’entendit le sifflet de brume, même quand il fut très près de terre. La brume dura longtemps après l’échouage. Même après avoir heurté les bancs de sable, pendant trois jours il n’entendit aucun coup de corne ou sifflet ainsi que cela doit être dans pareil cas. Les vents violents soufflant du sud-ouest semblent être la cause de ce courant violent portant au nord qui est responsable de cet échouage. Le capitaine Maclean’s ne pensait pas que son bateau aurait à subir l’influence d’un courant aussi violent et portant en direction de terre. Après l’échouage le vent souffla modérément mais il y avait un fort ressac et la brume s’étendait sur une très grande distance.

Bien qu’il ne fut pas en danger immédiat, le Canadian Commander avait demandé assistance par un message télégraphique. Plusieurs vapeurs partis de Québec arrivèrent rapidement sur les lieux et aidèrent à l’enlèvement de la cargaison du bateau échoué. En plus de la valeur de la cargaison dont le montant de l’assurance n’était pas connu, le navire était évalué à $1,700,000. Le travail de transbordement s’opéra très rapidement. Il était absolument nécessaire de décharger la cargaison entière pour que le Canadian Commander puisse être remis a flot. C’est ce qui fut fait dans un temps record. Le navire fut renfloué puis remorqué dans la rade de Saint-Pierre.

29/12/1921 : Paul-Simone

Paul-Simone (Photo. Michel Brian-Ozon)

Dans la soirée du 29 décembre 1921 le gardien du phare de l’Ile aux Chiens rendit visite à la famille d’une de ses nièces, qui était la mère d’un des auteurs. C’était l’époque des grandes veillées en famille avec parties de cartes, se terminant par une substantielle collation.

Vers 23 h 30 le gardien de phare quitta sa famille pour regagner l’unique maisonnette bâtie au pied du phare, où il habitait avec sa vieille mère. Le vent commençait à souffler du Sud-Est avec, par intermittences, de forts grains de neige. Le phare de la Pointe Leconte est situé sur un tumulus ou plutôt sur une sorte de butte. Quand le gardien Poirier arriva au pied de cette butte, il entendit soudain des appels au secours. Pensant tout de suite à un naufrage il hâta le pas. Arrivé au pied du phare, son premier souci fut de fixer la lanterne pour constater qu’elle fonctionnait. A sa grande satisfaction il vit que tout était normal dans l’éclairage du phare.

Entrant dans sa maison, il alluma un grand fanal-tempête et se dirigea dans la direction d’où les cris lui parvenaient. Quand il arriva en haut des rochers un hurlement d’hommes en danger se fit entendre. Grâce à la lumière que projetait son fanal il parvint à descendre la petite falaise. Il vit une masse sombre à quelques mètres des rochers où la mer déjà déferlait avec force. Il cria qu’on lui envoie un filin. Un homme du bateau muni d’un orin réussit à atteindre le bout dehors (beaupré) et à jeter l’orin. Le gardien s’en saisit et demanda qu’on attache un cartahu sur le petit filin, pour qu’il puisse s’en saisir. En quelques minutes ce fut fait. Quand le gardien eut le cartahu en mains, il fit une boucle qu’il passa à son bras et il reprit l’escalade de la petite falaise. Il amarra le filin autour d’un gros rocher et les hommes du bateau le raidirent dans la hune. Ce fut le mousse âge de quatorze ans qui arriva le premier à terre, puis les hommes d’équipage ; le dernier, comme toujours dans les naufrages, fut le capitaine qui tomba dans les bras de Poirier dont il était un des meilleurs amis.

La cause du naufrage du Paul-Simone provenait du fait que le capitaine, connaissant très bien les côtes de Saint-Pierre, avait tenté de franchir la passe du Sud-Est avant la tempête de neige, mais trompé par un grain de neige et drosse par le courant, il avait manqué l’entrée.

L’endroit du naufrage était très mauvais ; au bout de quelques jours, le Paul-Simone qui était sur lest était brisé, des débris jonchant le littoral de l’île aux Chiens.

06/03/1921 : Parmanencia

Ce bateau était neuf, construit six mois avant. Le Parmanencia était un bateau en ciment. Seulement trois bateaux de ce genre avaient été construits en Nouvelle-Ecosse. Il avait un tonnage de 292 tonnes et il appartenait à Monsieur W.N. MacDonald de Sydney. Il avait un équipage de neuf hommes. La cargaison du Parmanencia se composait de 188 tonnes de harengs qu’il devait aller livrer à Boston.

Il était sorti du port de Saint-Pierre et avait quitté le pilote au Colombier. Le vent à ce moment soufflait assez fort du sud-ouest. Dans le courant de l’après-midi le vent augmenta d’intensité pour se transformer en violente tempête. Le Parmanencia doubla le Cap Coupé avec de très grandes difficultés, et plus il avançait, plus la tempête faisait rage. Le capitaine décida d’aller se mettre à l’abri dans le nord de la Pointe Plate, pour attendre la fin de cette tempête. Il mouilla ses deux ancres et fila 75 brasses de chaîne. Vers 3 heures de l’après-midi la chaîne de l’ancre tribord cassa et dix minutes après ce fut au tour de celle de bâbord de se rompre. Ne pouvant exécuter aucune manœuvre à cause de la faible puissance des moteurs par rapport à ce coup de vent, le Parmanencia dériva et s’échoua sur la plage de l’Anse à Capelans.

Peu de temps après l’échouage, des fissures apparurent dans le pont et sur la coque entre la cale et le poste d’équipage. Le capitaine donna l’ordre d’abandonner le navire qui fut considéré perte totale. L’équipage fut réconforté et hébergé avec beaucoup de sollicitude par les gardiens du phare de la Pointe Plate.

10/02/1921 : Marion-Grace

Voulant se mettre à l’abri dans le port de Saint-Pierre par une véritable nuit d’encre et un vent violent qui soufflait du sud-est, le navire anglais Marion-Grace s’empala sur les rochers et l’équipage composé de six hommes, réussit à gagner la terre mais au prix de très grandes difficu1tés.

Ce bateau était un magnifique trois-mâts tout neuf, immatricu1é à Halifax. Sa cargaison était constituée par 127 tonnes de harengs, qui devait être dirigée sur le marché de New York.