19/05/1920 : Jeannette

Je soussigné Jean-Marie Robin, capitaine du navire à vapeur « Jeannette » immatriculé à Saint-Brieuc, France, et appartenant à la Société Générale d’Armement, ayant 36 hommes d’équipage, déclare:

« J’ai quitte le port du Légué, France, le 7 avril l920 à 9 heures le soir, pour aller pêcher sur le Grand Banc de Terre-Neuve. La dure traversée de l’Atlantique avec de forts vents dominants de la partie ouest-nord-ouest, a été ralentie à cause de la mauvaise qualité du charbon dont nous avons brûlé une très grande quantité ».

J’ai mis en pêche au Trou Baleine ou j’ai retrouvé plusieurs chalutiers. Je suis resté sur ce lieu de pêche jusqu’au 18 mai à 14 heures où j’ai appareillé pour Saint-Pierre.

Dans la nuit du 18 au 19 il faisait très sombre à cause de la brume, mais je n’ai rien remarqué d’anormal tout le reste de la nuit. Le 19 à 9 h 30 du matin j’ai demandé et obtenu de l’opérateur du poste de radio du Cap Race un relèvement radiogoniométrie. Ce relèvement me plaçait dans le 240 de ce cap. Immédiatement j’ai stoppé et j’ai pris une sonde. Celle-ci fut de l’ordre de 68 mètres. Je me suis aperçu que j’étais à environ sept milles en dehors de ma route dans le nord-est. J’ai continué ma route sur ce relèvement en gouvernant au 295° jusqu’au moment où j’ai trouvé une sonde de 11,25 m. C’est alors que j’ai changé de direction.

J’ai réduit la vitesse et pris de fréquents sondages. Après plusieurs sondages effectués à différents intervalles, la sonde a indique 95 mètres, 108 mètres. J’ai changé ma route en gouvernant au 34°. Après une autre sonde faite à 9 heures le soir, qui a donné 135 mètres de profondeur j’ai changé ma route en gouvernant au 270° et j’ai diminué ma vitesse. Puis j’ai donné des instructions concernant une veille attentive et une bonne écoute pour tacher d’entendre la corne de Galantry. J’ai donné ordre au second officier d’aller veiller sur le Gaillard. A ce moment ma vitesse était de l’ordre de 4 à 5 nœuds. Je pensais effectuer une autre sonde vers 9 h 30 et ensuite mouiller une ancre pour passer la nuit en cette position en attendant que la brume se lève. A 9 h 15 nous avons entendu un sifflet de brume dans le nord. Mais comme les sons qui nous parvenaient étaient irréguliers, j’ai pensé que c’était un autre vapeur qui se trouvait dans une position identique.

A 9 h 25 le second toujours de veille sur le gaillard a crié: ‘En arrière toute ». Immédiatement j’ai vu les brisants à moins de 100 mètres. J’ai mis la machine en arrière toute et le navire a très bien réagi. Mais malgré cela un violent choc a ébranlé le bateau : nous avions heurté les rochers. Cinq minutes après il y avait un mètre d’eau dans la cale. Le chef mécanicien a mis toutes les pompes en action et elles ont fonctionné parfaitement. L’eau montait à une telle cadence dans la salle des machines que je craignais que le navire coule rapidement. L’eau couvrait déjà une grande partie du pont. J’ai stoppé la machine. Ma grande crainte me faisait songer que le navire pourrait glisser sur le rocher et couler brusquement a quelques mètres du rivage. J’ai ordonné à l’équipage de mettre les ceintures de sauvetage puis donne l’ordre à l’opérateur radio de lancer un message de détresse. Celui-ci était très calme et il a exécuté mes ordres de façon ponctuelle et avec un grand courage. J’ai actionné mon sifflet de nombreuses fois afin de donner l’alarme. Pendant ce temps le lieutenant était occupé à mettre à l’eau les embarcations de sauvetage. C’était une opération très difficile et très périlleuse. Le navire talonnait avec force sur les rochers et le pont était continuellement recouvert par les vagues. Les deux premières chaloupes de sauvetage ont été mises le long du bord assez facilement, mais il n’en était pas de même pour la troisième qui a frappé violemment plusieurs fois la coque du vapeur, et en définitive s’est retournée. Les chaloupes étaient relativement à l’abri le long du navire J’ai donné des ordres pour qu’elles y restent. Mais vers 10 heures, quatre hommes sont partis dans un canot. Ayant vu mes ordres transgressés je suis dans l’obligation de blâmer officiellement leur conduite.

Au moment où les baleinières ont été mises à l’eau, j’ai donné ordre aux hommes d’embarquer dedans par l’avant du bateau car les vagues qui venaient de l’arrière balayaient le pont. Vers onze heures le gardien de l’île aux Vainqueurs est venu sur la falaise avec une lanterne pour fixer exactement notre position, puis il est parti immédiatement pour chercher du secours. A deux heures du matin quinze sauveteurs étaient sur le rivage. Nous avons pu leur envoyer une amarre qu’ils ont fixé solidement à terre, ce qui nous a permis de gagner la terre avec sécurité. A quatre heures du matin, mes 29 hommes et moi-même étions en sécurité à l’île aux Vainqueurs. J’ai quitté le bord le dernier après avoir pris tous mes papiers. Quand nous avons été tous à terre, j’ai donné l’ordre à deux hommes de rester sur la grève pour veiller le navire. Je suis parti immédiatement pour Saint-Pierre où j’ai informé aussitôt le représentant de la Compagnie. Je suis retourné sur les lieux du naufrage dans la matinée et dans l’après-midi. Il a été absolument impossible de sauver le moindre objet du navire qui d’ailleurs a coulé rapidement.

Saint-Pierre, 20 mai 1920

J.M. Robin, Capitaine.

Le père d’un des auteurs participa au sauvetage de l’équipage de la « Jeannette ». Il obtint ainsi que tous ses camarades pour ce sauvetage, un témoignage officiel de satisfaction décerné par le Ministère de la Marine Marchande Française.

23/02/1920 : Viola-May

Le trois-mâts anglais Viola-May s’était échoué à l’entrée de la Passe à la Normande, entre l’Ile aux Vainqueurs et l’Ile aux Pigeons. Le capitaine n’était pas inquiet sur le sort de son navire, car il avait la conviction qu’à la prochaine montée du « flot » son navire se redresserait et pourrait être renfloué et ainsi continuer à naviguer dans l’avenir.

L’optimisme raisonné du capitaine pouvait se concevoir à condition de prendre les mesures nécessaires. Or ces mesures, le capitaine ne les prit pas. La principale d’entre elles consistait à mouiller une ancre assez loin du navire en grande profondeur, qui retiendrait le navire au moment du « flot ». Cette ancre ne fut pas mouillée et la marée montante aidant, le bateau monta de plus en plus sur les rochers à un tel niveau qu’il fut par la suite impossible de le renflouer et qu’il fut considéré comme perte totale par l’assurance.

Le navire appartenait à la Société Petite de English Harbour, côte sud de Terre-Neuve et il était commandé par le capitaine Philippe Dicks de Belloram. Le jour du naufrage, le capitaine Dicks avait aperçu le phare de Galantry, qui est le phare principale de St Pierre et Miquelon, mais un fort grain de neige très prolongé l’avait fait dévier de sa route et s’échouer sur cette côte. Il revenait d’Espagne où il était allé porter un chargement de morue et avait à son bord 130 tonnes de sel qu’il avait pris à Cadix. La nuit était maintenant venue et le navire se trouvait fortement échoué avec en plus une marée descendante. L’équipage abandonna le bateau pour la nuit et retourna sur les lieux le lendemain à l’aube. A ce moment le navire se trouvait échoué encore plus haut, il était à demi rempli d’eau et il fut considéré comme irrécupérable.

11/12/1919 : Falcon

Une tempête venant du nord est responsable de la perte de la goélette anglaise « Falcon » sur la dune de Langlade. Au péril de sa vie, le fermier de Langlade, Grégorio Larranaga, avec un grand courage et un bel héroïsme, sauva d’une mort certaine l’équipage entier de ce bateau.

En reconnaissance de sa bravoure il fut décerné au langladier une médaille d’or offerte par le Ministère de la Marine de France. De plus on lui délivra un témoignage officiel de satisfaction pour l’acte héroïque et la valeur déployée au cours de ce naufrage.

Il serait injuste de ne pas mentionner la magnifique conduite des deux filles du fermier, Mlle Cossu (Mme G. Cormier) et Mlle Larranaga (Mme F. Delamaire). Ces deux jeunes filles, comme leur père, risqueront leur vie dans ce naufrage, et contribueront largement et courageusement au sauvetage des marin naufragés. Le gouvernement français a d’ailleurs récompensé leur héroïsme en attribuant aux deux sœurs, il y a quelques annees la Croix de Chevalier de l’ordre National du Mérite.

Les auteurs n’ont pu résister au plaisir de publier in-extenso dans leur livre, l’article très élogieux paru dans le Journal Officiel de la Colonie en l’annee 1921.

Extrait du Journal Officiel.

Le 11 décembre 1919 une goélette anglaise de Terre-Neuve, le « Falcon » se jette la côte et se brise en morceaux, devant Langlade à l’ouest par tempête de Nord, grains de neige et une température de 8 degrés au-dessous de zéro. Un homme d’équipage est enlevé par les débris. Les quatre survivants réfugiés sur l’un des morceaux sont menaces à chaque instant d’être enlevés par la mer, lorsque le fermier Larranaga arrive avec ses deux filles, Josepha Larranaga et Marie Cossu, pour leur porter secours. Apres de grandes difficultés et en entrant dans l’eau glacée, au milieu des débris roulés par les lames, il réussit à étab1ir une liaison entre la côte et la goélette, et à l’aide de cette liaison se porte a l’aide des naufragés. Au troisième voyage, ayant le maître d’équipage dans ses bras, il est heurte par une planche dans le dos et jeté a la mer avec son compagnon; tous deux se seraient noyés si les deux jeunes filles, se précipitant à la mer, n’étaient venues à leur secours. Après avoir repris ses sens, M. Larranaga retourne une quatrième fois à l’eau et sauve le capitaine. Puis, avec l’aide de ses deux filles, ramène à la ferme les quatre naufrages exténués de fatigue et rendus à la dernière extrémité, et leur prodigue tous les soins pour les ramener à la vie.

La jeune Larranaga dans sa déclaration, dit que le 13 décembre, le temps étant devenu plus beau, elle est allée à cheval a Miquelon prévenir les autorités. Elle ne parle pas des obstacles surmontés dans sa route pour sa mission, ni des dangers courus dans un parcours de 18 km à travers la montagne déserte, couverte de neige, sans un chemin tracé, par un froid glacial, au milieu des tourbillons de neige. Bien que souffrante par suite de son immersion dans l’eau glacée au moment du naufrage, elle part seule de la ferme, vers huit heures, arrivé à Miquelon à seize heures, à moitié gelée, ayant effectué huit heures de cheval. Le lendemain elle entreprend le même voyage pour retourner chez elle, où elle fut obligée de s’aliter pendant huit jours, souffrant de courbatures, éprouvée par la fatigue.

La famille Larranaga qui habite depuis vingt-deux ans dans la partie nord de Langlade une ferme isolée à huit kilomètres de toute habitation, a participé à tous les sauvetages des nombreux équipages des navires qui viennent chaque annee s’échouer sur ces dunes de sable. Les membres de cette famille n’ont jamais hésité, au péril de leur vie, et avec un dévouement extrême, à braver les plus grands dangers pour porter secours aux marins des navires en perdition, et l’hospitalité de la ferme Larranaga est devenue légendaire. M. Larranaga et sa fille Josépha étant de nationalité espagnole ne peuvent recevoir un prix Henri Durant.

En attribuant un prix Henri Durand à celle des filles qui est de nationalité française, Marie Cossu, le conseil supérieur a entendu récompenser le dévouement de toute la famille Larranaga.

11/12/1919 : Exilda

Exlida (Photo. Joseph Le Huenen)

Dans les premiers jours du mois de décembre 1919, deux capitaines de voiliers se rencontrèrent chez le même agent à Saint-Pierre. L’un était français Louis Le Hégarat né à Kerfot, petit bourg breton des Côtes du Nord près de Paimpol. L’autre était anglais, C. Williams né à Baie d’Argent, petit hameau situé dans la Baie de Fortune à Terre-Neuve. Le français commandait un magnifique trois-mâts goélette La Paimpolaise, bateau très solide et ayant la réputation d’être un bon marcheur. L’anglais était capitaine d’un superbe trois-mâts latin Exilda immatriculé à St.Jean de Terre-Neuve, qui avait également la réputation d’un véritable coursier des mers. Les deux bateaux allaient vers la même destination, un port de France avec un chargement de morue.

Quand ils eurent terminé de traiter leurs affaires chez l’agent, les deux capitaines sortirent accompagnés d’un ami, familier de la langue anglaise. Ils firent ensuite ce que tout marin digne du nom faisait à l’époque; ils allèrent « boire un coup » dans un café voisin. Après quelques libations d’un vin généreux, les langues se délièrent au point que les deux capitaines décidèrent de faire le pari pour une somme relativement importante pour l’époque, à qui arriverait le premier au port de destination. Dans ce pari, il existait une clause, les deux bateaux devaient partir le même jour. Ils se séparèrent bons amis, en se donnant rendez-vous dans le port français.

Le 10 décembre dans l’après-midi le temps était très beau avec absence totale de vent. Pour gagner du temps et dans le but de partir dés l’aube du lendemain, le capitaine anglais demanda au remorqueur « Saint-Pierre » de le mener en rade. Arrivé sur les lieux, il mouilla son ancre et il prit des dispositions pour partir dés l’aube du lendemain.

Dans la nuit le vent commença à souffler du nord puis augmenta d’intensité. Quand l’aube parut, la tempête était déchaînée, la rade était blanche d’écume. Dés qu’il s’aperçut que le vent augmentait le capitaine Williams mouilla sa deuxième ancre, errce égalisant sur les deux chaînes une « touée » (argot maritime) convenable.

Vers midi, l’Exilda commença à chasser sur ses deux ancres. Le mouvement s’amplifia et vers trois heures de l’après-midi, le capitaine était convaincu que ce serait l’échouage dans quelques heures. A moins d’une encablure (190 mètres) il existait un plateau rocheux, le Flétan, avec une tête au jusant (marée basse) de 1,50 m. A 16 H 30 le bateau talonna sur le haut-fond et des morceaux de quille vinrent à la surface. Le capitaine fit mettre deux doris à la mer, les hommes y montèrent juste avant la nuit, et se laissèrent pousser par le vent vers l’Ile aux Chiens, où ils abordèrent sans difficultés, aidés à l’arrivée par les pêcheurs de l’Ile, qui de terre avaient suivi toutes les péripéties de l’échouage.

La tempête souffla toute la nuit, et le lendemain la coque du navire s’était brisée sur les rochers et un des trois mâts était abattu. A l’accalmie les marins anglais regagnaient Saint-Pierre. Le lendemain 12 décembre, dans l’après-midi, La Paimpolaise toutes voiles dehors, franchissait la passe du sud-est. Avant ce départ, les deux capitaines s’étaient rencontrés. Sans un mot, car ils ne se comprenaient pas, ils se serrèrent longuement la main, leurs veux a tous deux étaient embues de larmes.

01/12/1919 : Minnie J. Dicks

Une tragédie maritime sans aucun survivant est bien celle de la goélette « Minnie J. Dicks » de Sydney – Nouvelle Ecosse – Canada.

La première personne qui eut connaissance de ce drame fut le gardien du lazaret de l’Ile aux Vainqueurs. Le navire reposait sur le coté tribord, ses voiles et ses mâts étaient dans l’eau et le côte bâbord était éventré. L’ancre de tribord était mouillée et tenait le bateau parallèle à la côte. Le rivage était jonché de débris de toutes sortes. Trois doris brisés, de nombreuses tobes (boites) de beurre et des barils de gazoline (essence) ainsi que d’autres petits objets. Le gardien de l’île n’avait rien remarqué au cours de la soirée et n’avait rien entendu pendant la nuit.

Ce n’est que le lendemain matin, en faisant sa ronde habituelle qu’il avait aperçu le navire échoué à la  » Pointe à la Moyac  » et le pont en partie submergé. Le gardien retourna à sa maison et vira son pavillon en berne pour alerter la population de l’Ile aux Chiens du désastre qu’il venait de découvrir.

Très rapidement quatre hommes de l’Ile aux Chiens arrivèrent à l’Ile aux Vainqueurs pour apporter l’aide que le gardien avait sollicitée. Sur les lieux du naufrage il n’y avait aucun signe de vie. Les deux premiers jours furent récoltés 55 barils d’essence, 65 tobes de beurre, une corne à brume et de nombreux autres objets que la mer rejetait sur la grève.

Le 3 décembre, deux corps vinrent s’échouer sur le rivage et deux jours plus tard trois autres corps vinrent de nouveau à terre.

Une fois de plus la terrible mangeuse d’hommes avait assouvi sa faim et le « Minnie J. Dicks » venait s’inscrire sur la liste déjà trop longue des navires perdus autour des Iles Saint-Pierre et Miquelon.

17/07/1919 : Saint-André

Saint André (Photo Michel Briand-Ozon)

Je soussigné Placide Laussy, capitaine du chalutier français Saint-André immatricule au port de Fécamp, ayant un tonnage de 138.68 de jauge nette, déclare :

J’ai quitté le port de Saint-Pierre le 30 juin, avec un équipage de 27 hommes. Mon bateau était dans un état parfait de navigabilité. Le 1er juillet nous avons rencontré un autre chalutier, le « Normandie » immatriculé au même port. Ce chalutier a transféré à notre bord un de nos hommes resté en France pour maladie. Après ce transfert, je suis parti pêcher au « Trou Baleine » et j’ai continué à pêcher les jours suivants dans ces parages. J’ai quitté le Banc de Saint-Pierre le 16 juillet aux environs de une heure du matin. J’avais à mon bord 1600/1800 quintaux de morue salée. A 9 heures le lendemain matin, je naviguais en direction de la terre et j’étais entouré d’une brume très épaisse.

Je naviguais avec une grande prudence et j’effectuais plusieurs fois des sondes afin de me permettre d’établir plus exactement ma position. Vers 7 heures du soir, j’ai cru entendre la sirène du phare de la Pointe Plate, mais le son de cette sirène était très faible. J’ai tourné plusieurs fois à faible vitesse dans le but d’essayer d’entendre la sirène de Galantry. N’entendant aucun signal sonore, j’ai donné ordre de gouverner au 125° (S.E. 1/4E).

Vers 8 heures du soir, nous avons aperçu quelques rochers à une courte distance. La brume à ce moment était extrêmement épaisse. J’ai renversé la machine en faisant « arrière toute ». Le navire réussit à reculer environ 150 mètres, mais brusquement il toucha brutalement par l’arrière. Il me fut impossible de faire bouger le bateau, même en remettant la machine en arrière. Nous étions entourés de cailloux de tous cotés et solidement empalés sur ces rochers. Le navire fatiguait beaucoup en cognant sur le fond. Le vent soufflait maintenant de façon modérée et le long du bord, des vagues très courtes rendaient la mer très agitée. J’ai fait mettre les embarcations de sauvetage le long du bord et j’ai donné l’ordre aux hommes d’embarquer dedans sans bousculade, car cette mer agitée fatiguait beaucoup les canots de sauvetage.

J’ai quitté le bord vers 9 heures le soir et c’est à ce moment même que je me suis aperçu que nous étions à la Pointe du Diamant. Avant de quitter le bord j’ai constaté que le fond du navire était déjà troué, car il y avait une hauteur de 1 mètre d’eau dans la machine. Je suis resté sur les lieux du naufrage jusqu’à 9 heures le lendemain matin.

14/11/1918 : Mary D. Young

Construit à Lunenburg (Canada) le trois-mâts Mary D. Young jaugeait 130 tonnes et il était âgé de six ans. Ce bateau était en pêche sur les Bancs sous le commandement du capitaine Thomas Bellen de Grand-Bank (Terre-Neuve). Il avait à son bord 130 tonnes de morue salée.

Le capitaine Bellen déclara après le naufrage:

« Le 14 novembre, je m’apprêtais à entrer dans le port de Saint-Pierre. Il était environ 2 heures du matin, quand je me suis présenté à l’entrée du chenal. Il n’y avait aucune visibilité et le phare de la Pointe aux Canons ne fonctionnait pas. Un vent très violent d’est-sud-est soufflait, rendant difficile le travail de la barre. Soudain, en pleine obscurité le navire s’échoua en talonnant plusieurs fois. Les vagues qui déferlaient sur le navire le frappaient durement. Le lendemain matin, les six hommes formant l’équipage réussirent à fixer une amarre sur la terre, ce qui nous a aide à nous sauver sans trop de difficultés. Tous nos efforts furent vains pour renflouer notre bateau qui fut par la suite considéré comme perte totale. »

29/10/1918 : Harry-Lewis

Le capitaine Philip Burton de Fortune (Terre-Neuve) avait engagé la plus grande partie de sa fortune dans l’acquisition du « Harry-Lewis » qu’il avait acheté à English-Harbour, port de la cote sud de Terre-Neuve. Le bateau avait quitté North-Sydney la veille pour la Baie de Plaisance (Terre-Neuve) avec 160 tonnes de charbon.

La visibilité était très restreinte quand nous avons atteint la Pointe de Langlade a déclaré le capitaine, et la noirceur de la nuit nous est tombée dessus, mais une telle noirceur que nous ne distinguions aucun point de lumière. Quand nous sommes arrivés au point de reconnaître la lumière du petit Saint-Pierre, nous avons changé de direction, mais il était déjà trop tard. Le navire s’échoua et l’équipage put quitter le bord sans aucune difficulté. Les experts de la Compagnie d’assurance déclarèrent que le bateau ne pouvait être sauvé et fut considéré comme perte totale.

20/02/1918 : Acadien

Ce rapport qui suit concerne le naufrage du vapeur « Acadien » et j’affirme que tous ces renseignements sont absolument exacts. Ce rapport est la reproduction conforme et tous les détails qui constituent ce témoignage me sont connus.

Le jeudi 14 février, le vapeur « Acadien » quittait Louisbourg pour Saint-Pierre à 9 heures du matin. A environ 10 heures, le vapeur rencontra de grosses glaces, sans toutefois que ces glaces le retardent dans sa progression. A 9 heures du soir, l’Acadien se trouvait en mer libre, et on apercevait aucune glace autour du vapeur.

Le chef mécanicien informa le capitaine qu’une légère voie d’eau venait de se déclarer. Le vent à ce moment soufflait du nord-est puis vira au nord-ouest modérément. Le 15 février au matin, on aperçut Pointe Plate sur l’Ile de Langlade, qui fait partie de Saint-Pierre et Miquelon, port qui était notre destination.

A ce moment, le temps était déjà mauvais. Il ne fit que se détériorer, nous apportant de grandes quantités de neige. Le temps ne s’améliorant pas, il fut jugé impossible de pouvoir entrer à Saint-Pierre dans ces conditions. Le capitaine Scott, un homme qui avait une grande expérience de la mer, décida de prendre la route du large, ce qui mettrait le vapeur dans une plus grande sécurité.

A environ 7 h 15 du soir, l’appareil à gouverner cassa. Dans de pareilles conditions, il était impossible d’envisager la réparation du matériel avarié. La tête de la mèche du gouvernail fut liée très solidement avec des saisines. Cette réparation très sommaire ne constituait qu’une opération à caractère temporaire. Le vapeur continua toute la nuit à labourer la mer, mais il fatiguait énormément. Le mécanicien monta à la passerelle et il déclara au capitaine que la voie d’eau augmentait de façon considérable. Le samedi 16 février, l’appareil à gouverner fut réparé plus solidement et, de plus, on adapta un gouvernail de fortune.

Mais dans cette mer en furie ce gouvernail se brisa au cours de la même nuit. L’appareil à gouverner fut de nouveau réparé temporairement afin de permettre au vapeur de naviguer de façon assez régulière. Pendant ce temps le vapeur plongeait et replongeait dans une houle énorme. Donnant déjà des signes de fatigue qui ne présageaient rien de bon, le mécanicien informa le capitaine que les pompes n’arrivaient à évacuer l’eau qu’avec les plus grandes difficultés, et la tempête faisait toujours rage.

Le dimanche matin 17 février, au cours d’une légère accalmie, l’appareil à gouverner fut réparé solidement. Les chaînes furent adaptées avec plusieurs tours sur le timon, ce qui permit de naviguer avec plus de sécurité. Durant cette matinée un vapeur fut aperçu, nous avons suppose qu’il pouvait être le « Cap Breton ». Quand ce bateau fut en vue, nous virâmes nos signaux de détresse mais â cause de la grosse mer, nos signaux ne furent pas aperçus et le vapeur continua sa route.

La tempête redoubla de violence et au cours de la nuit le gouvernail à nouveau se brisa complètement et il fut emporte par le mer. Un voile fut hissée afin de permettre au bateau d’être mieux stabilisé, et toute la nuit le pauvre navire subit les assauts de la tempête et fut livré à la fortune de la mer. Les pompes n’arrivaient plus â étaler l’entrée de l’eau et le bateau se maintenait à flot avec la plus grande difficulté. Nous avions dérivé très loin de Saint-Pierre. Le capitaine Scott décida de tenter de gagner un port de la côte sud de Terre-Neuve.

Le lundi 18 février la tempête diminua quelque peu. Le vapeur gouvernait tant bien que mal au moyen de voiles qui lui assurent une stabilité précaire, le bateau prend de plus en plus d’eau malgré les pompes constamment en service. Le mardi 19 février à environ 1 heure du matin, une lumière est aperçue. Nous l’identifions comme étant celle du phare de Burin. Nous avons alors émis des signaux de détresse, consistant dans la mise â feu de matière inflammable (moines). De plus, le second officier émettait des signaux lumineux en morse. Tous ces appels de détresse n’ayant pas été aperçus de la terre se révélèrent inutiles. Au lever du jour nous virâmes nos signaux de détresse au moyen de pavillons. Ce n’est qu’à partir de 11 heures du matin que le phare répondit pour la première fois. Mais nous ne pûmes comprendre cette réponse qui pour nous était impossible a interpréter.

A 1 h 30 l’après-midi, voyant que nous ne pouvions réussir à avoir l’assistance demandée, le capitaine décida que soit mise a l’eau une baleinière pour aller à terre demander qu’un remorqueur ou un bateau à moteur vienne nous prendre en remorque. Je pris place moi-même dans cette baleinière. Le second officier, qui commandait la baleinière avait reçu l’ordre du capitaine d’adresser de terre un télégramme aux armateurs pour les informer de notre situation. Malheureusement il n’y avait à Burin et dans les environs aucun remorqueur ou bateau pouvant nous porter assistance.

Un petit bateau à moteur nous remorqua jusqu’à l’Acadien. En arrivant à bord nous informâmes le capitaine Scott qu’un bateau du nom de « S/S Ethie » était en instance de départ à Marystown pour venir à notre secours. Par l’intermédiaire du petit bateau à moteur qui nous avait remorqué le capitaine Scott adressa un message au capitaine de l’Ethie en lui demandant de se hâter.

Le même jour vers 9 h 30 du soir, le bateau sauveteur était le long du bord de l’Acadien. La remorque fut mise en place, mais quelques minutes après, cette remorque cassa. L’Ethie recommença la manœuvre plusieurs fois, mais la force de la houle collait le petit bateau sur l’Acadien. Le capitaine du bateau sauveteur informa le capitaine Scott, que devant l’inutilité de ses possibilités à vouloir le remorquer, il se tenait prêt à remorquer les embarcations de l’Acadien à terre, après l’abandon du navire. Le temps revenait au mauvais et une tempête de neige s’annonçait.

Le capitaine Scott décida de faire abandonner le navire par l’équipage. Il donna ordre à tous les hommes de monter dans la baleinière. Mais ceux-ci semblaient hésiter à monter dans cette embarcation qu’ils jugeaient trop petite pour les prendre tous. Le capitaine Scott me donna l’ordre de monter aussi, ordre auquel j’obéis, ainsi que deux autres marins. Soudain une vague énorme déferla et faillit faire chavirer la baleinière qui, à demi submergée, tossa plusieurs fois sur le vapeur avec violence. Un choc plus brutal que les autres nous arracha de l’Acadien et la baleinière s’en alla à la dérive comme un fétu de paille. Le capitaine de l’Ethie manœuvra pour se rapprocher de nous; il y parvint après avoir surmonté des difficultés inouïes. Pour pouvoir s’approcher de nous il dut jeter à la mer trois bidons d’huile, pour calmer la mer et empêcher les vagues de déferler.

Immédiatement après mon arrivée à bord de l’Ethie, je déclarai au capitaine que 10 hommes se trouvaient encore à bord de l’Acadien. Il manœuvra pour venir se mettre le long de l’Acadien, mais son bateau fut rejeté par la tempête. Il renouvela sa tentative plusieurs fois. Chaque fois ce fut un échec. Le capitaine de l’Ethie conscient de l’impossibilité où il était de sauver les 10 hommes, décida que le moment était venu d’assurer la sécurité de ses passagers, de son équipage et de lui-même. Il avait une raison supplémentaire de le faire, une voie d’eau venant de se déclarer à bord de l’Ethie. Le petit bateau mit en route pour rallier Marystown. Le jeudi 20, l’Ethie nous débarqua à Burin où nous reçûmes un accueil chaleureux de la population.

Nous n’avons jamais eu d’autres nouvelles de l’Acadien, à l’exception de celle qui nous parvint, que le corps d’un marin nomme José Alvadero avait été retrouvé prés de Paradis, dans la Baie de Plaisance.
Dans ce rapport, compte tenu du vent et de la position du bateau, mon opinion est que l’Acadien a dérivé sur un haut-fond et qu’il a coulé immédiatement. Il y avait a bord 400 tonnes de charbon qui par le poids, ont contribué à la disparition rapide du vapeur.

Arthur L. Forster Second Lieutenant du « S/S Acadien ».

08/12/1917 : Francis P. Mosquito

Le rejet à la mer de 115 tonnes de charbon a certainement permis de sauver la goélette de Terre-Neuve « Francis P. Mosquito » qui s’échoua dans le port de Saint-Pierre au cours d’une terrible tempête de décembre.

Sous le commandement du capitaine William Toben, la goélette avait quitté Sydney trois jours avant, pour Burin, Terre-Neuve.

Au cours de la nuit du 8 décembre, pour se protéger de la tempête, le « Francis Mosquito » avait trouvé un abri dans le port de Saint-Pierre.

En pleine tempête une de ses chaînes se rompit et le navire n’ayant plus qu’une ancre commença à dériver et ensuite s’échoua. L’équipage ne put cette nuit-là quitter le bord à cause du vent violent.

Le lendemain, le temps s’étant amélioré, on décida de jeter par-dessus bord une partie de la cargaison. Plus de 100 tonnes de charbon furent jetées à la marée et grâce à cela, â la marée montante le navire put être renfloué. Le « Francis Mosquito » fut réparé et navigua par la suite pendant plusieurs annees.