15/07/1902 : Alliance

L’histoire de ce bateau français est un exemple de baraterie et de pillage perpétré par son équipage. Ces faits assez fréquents à cette époque et dont les armateurs étaient toujours les victimes, restaient d’ailleurs souvent impunis. En voici le récit fait par Monsieur T. Flynn, de la Baie Mortier à Terre-Neuve.

Le capitaine Flynn, qui commandait le navire « Alexander J. Walsh », aperçut à très faible distance un navire dans la brume. Celui-ci s’approcha et bientôt le capitaine Flynn reconnut le bateau français « Alliance » qui appartenait à l’Armement Légasse et Cie de Saint-Pierre. A distance, le capitaine de l’Alliance héla celui du bateau anglais et l’informa que son bateau coulait et qu’il souhait être transporté à terre ainsi que son équipage. Le capitaine Flynn monta a bord de l’Alliance ou il constata que le bateau était partiellement envahi par l’eau. Le capitaine du bateau lui déclara que son navire avait eu, dix jours auparavant, une grave avarie à son gouvernail, qu’il prenait l’eau en quantité par l’arrière et qu’il ne pouvait plus être réparé. Le capitaine français offrit a Flynn de lui donner son poisson et tout son matériel de pêche, à condition qu’il le transporte ainsi que son équipage à terre dans un port de l’île de Terre-Neuve.

Après l’accord conclu entre les deux capitaines, l’équipage de l’Alliance ainsi que son capitaine furent débarqués dans un petit port de la Baie des Trépassés, sur la côte Sud de Terre-Neuve. Ensuite, l’équipage de « l’Alexander J. Walsh » sauva pour son propre compte près du Cap Fine, le matériel de pêche, qui consistait en plusieurs glénes de filin, lignes de fond, doris de pêche et autre petit matériel, ainsi que 70 quintaux de morue qui furent retirés de la cale du bateau français. Tout ceci était lié au sauvetage de 1’équipage français et de son transport sur la terre ferme.

Plusieurs bateaux se rassemblèrent dans la soirée autour du bateau français. Il fut constaté que la grand voile du navire avait été coupée. Le reste de la voilure était intact. Une inspection de la cale, envahie en partie par l’eau, révéla que plusieurs trous existaient dans la coque, ces trous ayant été faits à la hache. Ces voies d’eau furent colmatées tant bien que mal par des coussins de caoutchouc pour diminuer l’entrée de l’eau, mais le pauvre bateau était dans un piteux état. « L’Alexander J. Walsh » arriva dans la Baie Mortier le 16 juillet avec l’équipage et le capitaine de l’Alliance. Celui-ci partit pour Burin où il fit aux autorités un rapport officiel sur la perte de son navire.

L’Alliance fut remorqué à Rushooun par Cheesman’s. Le lendemain un steamer arriva à Rushooun avec un agent d’assurance français venant de Saint-Pierre. Il constata que dans la cale de l’Alliance trois ouvertures avaient été pratiquées volontairement et sa conclusion fut que l’équipage français avait tenté de détruire le navire. L’équipage de l’Alliance essaya de reporter sur l’équipage du bateau anglais cette grave accusation, mais cette affirmation n’eut aucun crédit tant a Terre-Neuve qu’à Saint-Pierre. L’agent d’assurance français donna a l’équipage du « Walsh » la moitié de ce qu’il avait sauvé, en dédommagement du temps perdu dans leur propre pêche. Puis il revint à Saint-Pierre avec l’équipage de l’Alliance où ils furent pendant tout la durée de l’enquête, les vedettes de cette histoire de sabotage d’un bateau français par son équipage.

13/09/1900 : Ali-Baba

L’Ali-Baba était une goélette Saint-Pierraise, qui portait le nom d’un héros bandit, d’un conte qui a bercé notre enfance. Elle était commandée par le capitaine Thomelin. Cette goélette était en pêche sur le Banc de Saint-Pierre le 13 septembre 1900 au moment où une des plus grandes tempêtes se déchaîna. Plusieurs jours d’anxieuse attente se passèrent et la goélette ne revint pas au port, ainsi que plusieurs bateaux en pêche dans ces parages. Les semaines succédèrent aux jours et l’Ali-Baba fut considéré perdu corps et biens.

En octobre, des pêcheurs aperçurent au large d’une petite anse de la côte ouest de Miquelon, une goélette chavirée. Ils s’en approchèrent et reconnurent l’Ali-Baba, flottant la quille en l’air au gré des courants. Plusieurs embarcations remorquèrent la goélette le plus prés possible de la côte. Un panneau fut découpé dans les bordages et le vaigrage, afin de permettre à un homme de pénétrer dans la cale, où pensait-on il y avait des cadavres. Cette idée se révéla exacte après qu’un Miquelonnais volontaire eut pénétré à l’intérieur du bateau. Il ramena 13 cadavres en décomposition avancée et un seul seulement put être identifié.

Le souvenir de ce drame maritime hanta très longtemps la mémoire des habitants des îles Saint-Pierre et Miquelon. Les mats de cette goélette servirent au début du siècle à consolider la base de l’église de Miquelon, et un morceau du beaupré permit de construire une maquette de goélette qui sort tous les ans de l’Eglise de Saint-Pierre au moment de la procession de la Fête des Marins.

Récit de Jean-Pierre Detcheverry :

Ce matin du 7 octobre 1900, Bénony Girardin et un autre Miquelonnais du nom de Haran aperçurent au large de la côte Ouest de Miquelon, à environ deux kilomètres du Cap-Blanc, une épave de navire dérivant la quille en l’air. Après avoir prévenu le Chargé du Service Administratif, Monsieur Paul Lamorlette, de ce fait, c’est à partir des cabanes de pêche de « l’Ouest », qu’une trentaine de pêcheurs se rendirent sur les lieux à bord de douze doris. Lorsqu’il arriva surplace, Monsieur Lamorlette fut informé par des pêcheurs qu’il devait s’agir de la goélette Ali-Baba présumée perdue sur les bancs de pêche lors d’une violente tempête, le 13 septembre 1900.

Le Ali-Baba était une goélette de soixante trois tonneaux qui avait été construite à Pubnico en NouvelleEcosse en 1884. Ce navire, exploité par un armateur local Monsieur Jacques Legasse, était armé par dix neuf hommes d’équipage et était commandée par le capitaine Joseph Chesnel. La pêche à la morue se pratiquait à partir de doris qui quittaient le bord dès le matin et le regagnaient après avoir remonté leurs lignes de fond. Un pêcheur de cette goélette avait déjà péri en août de la même annee, son doris ayant chaviré dans le mauvais temps.

Les embarcations présentes sur le lieu tentèrent de remorquer l’épave vers la « Grande Anse du Ouest », mais en vain. Il faut dire que la quille du navire mesurait quand même vingtdeux mètres et le courant très violent n’aidait en rien les sauveteurs dans leurs efforts. Vers vingt deux heures, ils abandonnèrent.

Quelle ne fut pas leur surprise en arrivant à « I’Ouest » le lendemain matin. L’épave avait disparu. Quelques instants plus tard, ils la virent dériver au loin. Tous les efforts de la veille n’avaient servi à rien. Dix huit sauveteurs tentèrent à nouveau de ramener l’épave au ‘plein’, en face des cabanes de pêche de « I’Ouest » à côté de la « Grande Anse » et de « l’Anse aux warys ». Le grand mât s’était cassé dans la nuit, lorsque l’épave passa au-dessus du « Fond Briand », un endroit bien connu des pêcheurs miquelonnais. Ce qui facilitait le travail des sauveteurs. Il fut ramené dès le matin par Théodule Gaspard. Leurs efforts furent cette fois récompensés, car en fin de journée, ils arrivèrent près des rochers sur lesquels la coque menaçait alors de se fracasser. Ils l’attachèrent du mieux qu’ils purent, mais les vents se faisant plus violents dans la nuit, les amarres vinrent à se rompre.

Entre-temps, par le bateau « La Liberté », arrivèrent à Miquelon, l’armateur Jacques Légasse et Monsieur Jourdan, représentant de la compagnie d’assurance. Après avoir constaté l’état du navire, Jacques Légasse déclara abandonner les débris de l’épave à la Marine, mettant dans l’embarras Monsieur Lamorlette. Que faire de cette épave ? Il décida sur le champ d’organiser une vente publique programmée pour le jour suivant au matin. Il envoya donc une personne faire du porte à porte, annonçant la vente pour le lendemain dix heures.

Le 9 octobre au matin, Bénony Girardin alla avertir le gendarme qu’il venait, lui et les hommes qui avaient remorqué l’épave, de trouver deux cadavres le long de la goélette Alti-Baba. Ce qui laissait présager qu’il pouvait y en avoir d’autres à l’intérieur de la coque. A dix heures précises, une cinquantaine de personnes se trouvaient réunies face à l’épave qui fut adjugée pour la somme de dix francs au principal sauveteur Bénony Girardin, personne n’ayant émis de surenchère. Il faut dire que le bateau se trouvait à une distance assez conséquente du rivage, et vu l’état de la mer, était dangereux d’accès, risquant de se briser à tout moment. Le mât de misaine fut adjugé au curé du village Monseigneur Oyenard pour la somme de cinq francs. La misaine fut vendue à Dominique Borotra au prix de soixante six francs après surenchères entre ce dernier et l’armateur Jacques Légasse. Le grand mât revint également au curé pour la somme de quinze francs. Cette énorme pièce de bois devait par la suite servir à soutenir le clocher de l’église de Miquelon.

Sitôt après la vente, il fallait inspecter l’intérieur de la coque, et c’est au propriétaire de l’épave que l’on eut encore recours. Bénony Girardin, pénétrant par un panneau découpé dans les bordages et le vaigrage, accomplit cette pénible épreuve. Il en sortit dix cadavres en état de décomposition, sans doute morts étouffés près d’un mois auparavant. Un seul put être identifié à cause d’un orteil coupé. Il ramena aussi le rôle d’équipage certifiant qu’il s’agissait bien de la goélette Alti-Baba.

Le lendemain jeudi 11 octobre, tous ces malheureux furent enterrés au cimetière de Miquelon, les douze cercueils ayant été confectionnés de toute hâte par un artisan local. La mer se faisant de plus en plus mauvaise, l’épave se brisa sur les rochers, et Monsieur Lamorlette écrivait à son supérieur: « Une violente tempête sévit, et aujourd’hui vendredi matin, Monsieur le Curé en sera pour ses frais; le mât de misaine est parti pour une destination inconnue. »

La mer prouva une fois encore qu’elle était la plus forte. Elle avait décidé de prendre dix neuf marins à leur famille et de ne rendre que douze corps sans vie.

13/09/1900 : Alerte, Francis-Eugène

Les dépressions équatoriales qui naissent dans la Mer des Caraïbes remontent le long de la côte américaine, passent le Cap Hatteras et souvent changent de direction en suivant les contours de la côte. Ces tempêtes très violentes dont certaines atteignent une vitesse de 100 milles, sont assez souvent chassées vers le Sud, c’est à dire en direction du Banquereau, Banc de Misaine et Banc de St. Pierre. Au début du siècle il n’existait aucune station météorologique donnant des avis de ces tempêtes. Il faut dire que même Si ces stations avaient existé, aucun bateau de pêche ne possédait les moyens de capter de tels avis. Un bateau qui se trouvait au centre d’une telle tempête avait très peu de chance d’en sortir, et on ne compte plus les bateaux et les centaines pour ne pas dire les milliers de marins qui en furent les victimes.

Le 13 septembre 1900, deux goélettes étaient à Saint-Pierre. L’une « l’Alerte » était mouillée au milieu du Barachois (intérieur du port), l’autre, le « Francis-Eugène » était mouillée en rade. La première chassant sur ses ancres s’échoua au fond du port. La seconde se brisa sur les rochers de l’île au Massacre à l’intérieur de la rade. Les deux équipages sortirent indemnes de ces naufrages.

Sur les « Bancs » il n’en fut pas de même, et le bilan fut très lourd. Neuf goélettes disparurent entraînant à la mort 120 marins. A Saint-Pierre cette tragédie maritime fit une centaine d’orphelins.

15/09/1899 : Edna E.

Une épave flottante est aperçue en septembre 1899 au large de Saint-Pierre par le remorqueur « Liberté » du port de Saint-Pierre. « L’Edna E. » était chavirée et toute trace de vie faisait défaut à son bord. Le petit bateau dérivait au fil du courant a quelques milles au large de Saint-Pierre. Le « Liberté » a pris le bateau naufragé en remorque et il est rentré au port de Saint-Pierre le 29 septembre. Deux corps, celui d’un homme et celui d’une femme furent retrouvés à l’intérieur de la coque du petit bateau.

13/04/1897 : Vaillant

Les icebergs se trouvent assez rarement dans les parages des Iles Saint Pierre et Miquelon. Après avoir quitté leur lieu d’origine, la côte occidentale du Groenland, ils dérivent lentement en atteignant les côtes du Labrador, puis Terre Neuve, et enfin les Bancs de pêche où ils furent responsables, en plus de la perte du « Titanic » en 1912, de celle de nombreux bateaux de pêche de toutes les nationalités. C’est la perte de ce transatlantique géant qui fut à l’origine de ce que l’on appelle de nos jours « La patrouille des glaces », qui au début fut assurée par des bateaux et aujourd’hui par des avions.

Le « Vaillant », en 1897 ne pouvait compter que sur les yeux de ses veilleurs. Le 13 avril, ce navire qui se trouvait aux accores du Bonnet Flamand, heurta par une nuit noire et brumeuse un énorme iceberg. Le bateau s’ouvrit littéralement au moment du point d’impact et coula rapidement. L’équipage n’eut que le temps de mettre la chaloupe a l’eau et d’y embarquer avec les 40 passagers que transportait le « Vaillant ». La petite chaloupe erra sur la mer pendant de longs jours jusqu’au moment où un autre bateau le « Victor-Eugène » l’aperçut et se dirigea sur elle. Hélas il ne restait que quatre survivants dans un état très voisin de la mort. Ils avaient les mains et les jambes gelées et le manque de nourriture et d’eau les avait amenés à la dernière extrémité de faiblesse. Le « Victor-Eugène » les débarqua à Saint-Pierre le 27 après avoir passé deux semaines d’épouvante et de terreur.

Un souvenir tenace subsiste encore de nos jours à Saint Pierre au sujet de cette histoire du naufrage du « Vaillant ». On a longtemps affirmé dans nos îles, que les quatre survivants avaient survécu grâce à leurs camarades morts de misère et de froid et sur lesquels ils avaient prélevé des morceaux pour assurer leur survie.

05/12/1889 : Violet

Le 5 décembre 1889, les nommés Cordon Prosper, Nousel Paul, Nousel Alexis, Ibart Eugène et Ibart Joseph, pêcheurs de l’île aux Chiens, revenaient d’une partie de chasse aux eiders sur les « cailloux » de l’île Verte. En arrivant à proximité des Rochers Canailles (N.E. de l’île aux Pigeons) ils virent une goélette qui venait de s’échouer sur un rocher et qui était sur le point de tomber. Le vent soufflait avec force du Sud-Est, et la goélette ne pouvait résister très longtemps, l’équipage était voué a une mort certaine.

Cette goélette le « Violet » de Terre-Neuve, en route pour Sydney, mais qui compte tenu du mauvais temps cherchait à rentrer dans le port de Saint Pierre. Les sauveteurs au prix de très grandes difficultés réussirent à sauver l’équipage de la goélette, et l’amenèrent à l’Ile aux Chiens, où ces marins furent réconfortés et hébergés dans les familles des sauveteurs. Ceux-ci reçurent pour leur dévouement, par les autorités françaises, un témoignage officiel de satisfaction.

12/06/1888 : Président

Le trois-mâts « Président » était un navire de 10190 tonneaux de jauge nette. Il avait un équipage de 15 hommes et était commandé par le capitaine au long cours Andréas Peusen. Il était parti de la région du Saguenay au Québec pour Cardan Docks, en Angleterre, avec un chargement de bois. Le 12 juin 1888, il s’échoua sur les hauts-fonds de la côte ouest de Miquelon, non loin de la Pointe au Cheval. Le capitaine refusa d’abandonner son navire aux autorités de Saint-Pierre, jusqu’au moment où il recevrait des instructions de ses armateurs. Un expert de la compagnie d’assurance, venu sur les lieux, considéra que le navire était perdu irrémédiablement, et qu’il était préférable de la vendre immédiatement plutôt que d’attendre que le bateau soit complètement submergé et la cargaison perdue.

Le capitaine reçut des instructions de ses armateurs et il fit devant les autorités maritimes la déclaration suivante:

« Je soussigné Maître du navire « Président » échoué sur la côte ouest de Miquelon, déclare que mon navire a été condamné par un expert et un commissaire aux avaries. J’abandonne mon bateau et son chargement entre les mains du Gouvernement français qui procédera à sa vente et qui en adressera le montant à qui de droit ».

Cette vente fut annoncée par voie d’affiches. La population était vivement intéressée par ce genre de vente; cela lui permettait d’acquérir des marchandises et matériaux à des prix très bas en fonction de leur valeur marchande réelle.

Après le naufrage du bâtiment, la vente était décidée par l’administration maritime et annoncée au public par des affiches dont voici un exemple de libellé:

Mercredi 20 du courant, à deux heures de l’après-midi, il sera procédé prés de la Pointe au Cheval (Miquelon) à la vente du navire norvégien « Président » et de sa cargaison, composée de madriers. Le remorqueur « Progrès » partira de Saint-Pierre ce jour-là à 7 heures du matin, pour transporter sur le lieu où se fera la vente, les personnes qui désireront y assister. Pour connaître les conditions de la vente, on est prié de s’adresser au Bureau de l’inscription Maritime.

07/08/1881 : Southburne

Le « Southburne » était un steamer anglais qui s ‘échoua sur les rochers très près de la Pointe Plate, à l’extrémité ouest de l’île de Saint-Pierre.

Le cargo était chargé d’un bétail de choix, en particulier des agneaux destinés exclusivement à des magasins de Londres pour leurs ventes précédant la fête de Noël.

A la suite de ce naufrage sur la côte rocheuse de Pointe Plate, l’histoire locale raconte que le steamer se déchira sur les récifs, ce qui provoqua une grande panique parmi les animaux. Certains narrateurs prétendent même qu’un assez grand nombre de bêtes réussirent à grimper de la cale sur le pont au moyen d’une échelle, puis ensuite se précipitèrent à la mer où plusieurs d’entre eux gagnèrent la terre à la nage. Evidemment cette affirmation n’a jamais été prouvée.

Cette nourriture de choix prévue pour la fête de Noël sur les tables des restaurants londoniens, trouva temporairement un refuge dans les étables des fermiers de Langlade. Ces merveilleux gigots et beefsteaks qui devaient être servis sur les tables de la capitale de la Grande-Bretagne, agrémentèrent au Noël suivant, celles de Langlade, de Saint-Pierre et de Miquelon.

03/09/1880 : Henriette

L’Henriette était une goélette qui avait 23 ans. Elle avait un tonnage de 79 tonnes net. Elle était commandée par le capitaine Joseph Eustache et son équipage se composait de quinze hommes. Le capitaine Eustache nous raconte la mort de son navire.

« J’ai quitté Saint-Pierre et Miquelon le 6 août a quatre heures de l’après-midi sans le concours du pilote. Le vent soufflait modérément du sud-ouest. J’avais à bord mon équipage au complet et tout le matériel nécessaire pour pratiquer la pêche à la morue sur les Bancs. A 9 h 30 alors que je me trouvais en excellente condition de navigation, j’ai fait route pour le Grand Banc où je suis arrivé quelques jours plus tard. J’ai mouillé quatre maillons de chaînes, et tout autour du navire j’ai constaté la présence de plusieurs bateaux. Je suis resté en pêche jusqu’au 26 et quand j’ai quitté les lieux de pêche, j’avais 7,000 morues dans la cale. Le 30 je naviguais avec une petite brise de nord-nord-ouest qui dura jusqu’au 2 septembre où les vents revinrent dans la partie du sud au sud-ouest. Le même jour au soir j’ai pu apercevoir un feu situé sur la péninsule de Burin à Terre-Neuve, j’ai alors changé de direction. Le vent soufflait de nouveau de l’ouest. Dans la nuit du 2 septembre j’ai aperçu dans le nord-ouest le feu de Galantry. Il y avait absence totale de vent et le navire ne gouvernait pas. Le lendemain vers 9 h 30 du matin, le vent a pris au nord-est. J’ai donc fait route vers l’ouest. A midi j’ai aperçu la tête de Galantry dans le nord-nord-est. Aux environs de une heure du matin, j’ai changé ma route et me suis dirigé sur Saint-Pierre. J’ai réussi au prix de grandes difficultés à passer la pointe du Diamant. Voyant que le courant me drossait vers la terre, j’ai essayé de prendre la direction du large mais le navire n’a pas répondu à cette manœuvre. Mon grand mât était brisé partiellement et il y avait un grand trou dans la grande voile. J’ai tenté de nouveau d’effectuer la manœuvre que j’avais manquée antérieurement. De nouveau ce fut un échec. Ce n’est qu’après beaucoup d’efforts et de grandes difficultés que je réussis enfin a virer de bord au large de l’anse a Ravenel.

Le vent ayant changé du sud au sud-ouest, j’ai essaye de franchir la passe du Diamant. J’ai encore essayé la même manœuvre pour changer de direction mais je n’ai pu y parvenir à cause de l’erreur d’un de mes marins qui a relâché une voile à laquelle il ne fallait pas toucher. Le navire revint dans sa position première. J’ai immédiatement réalise que le navire allait s’échouer. J’ai fait mouiller les deux ancres et amener toutes les voiles. Je n’ai pu filer qu’un maillon de chaînes, car je me suis aperçu que si je filais plus, le navire serait sur les rochers. Le navire resta dans cette position environ dix minutes. Soudain deux vagues énormes arrivèrent et les deux ancres lâchèrent prise.

En quelques secondes le navire fut brisé sur les rochers. L’équipage, malgré mes ordres, mit les doris a l’eau, et quitta le navire. Je restai seul avec le saleur nommé Blanchard. Voyant que les hommes étaient partis et que le navire se démolissait rapidement (il y avait déjà un mètre d’eau dans la cale) je décidai de sauter dans un doris pour sauver ma vie. Blanchard y était déjà. L’équipage était parti, je le savais, en direction de Saint-Pierre, mais je ne savais pas s’il y était parvenu.

J’ai quitté l’Henriette vers 6 heures du soir, et je suis arrivé à Saint Pierre vers 8h30 au début de la soirée. En quittant le bateau, l’équipage avait laissé à bord tous ses effets personnels.

Il ressort de l’enquête qui a été effectuée après le naufrage, que le rapport du capitaine offre un contraste frappant avec les déclarations des hommes de l’équipage; et d’autre part, que la déclaration du capitaine quand il dit s’être dirigé vers l’ouest pour éviter les hauts-fonds, ne peut être prise en considération. La conclusion de la commission d’enquête est que la perte de la goélette « Henriette  » fut provoquée par les erreurs commises par le capitaine Eustache.

23/05/1880 : A.B

L’A.B. était une goélette de 152 tonneaux, immatriculée dans le port de Bordeaux, France. Elle avait un équipage de huit hommes, et était commandée par le capitaine Clément Gendron, qui nous raconte ici la fin de son navire à la suite d’un voyage effectué entre Saint-Pierre et Sydney.

« J’ai quitté Saint-Pierre le 2 mai 1880 à destination de Sydney, Nouvelle Ecosse. Mon bateau naviguait uniquement sur un lest composé de 50 tonnes de cailloux. Ce jour-là le vent soufflait de l’Est avec assez de violence.

Le 14 j’ai rencontré des glaces, j’ai donc pris une direction plus au Nord avec l’espoir de trouver un passage. Au bout d’un certain temps je suis revenu au Sud car en continuant par le Nord il était impossible de trouver un passage pour arriver en vue de l’île de Scatari. Ayant réussi à approcher cette île, j’ai essayé de franchir le passage existant entre l’île et la terre du continent. Je n’ai pu y parvenir; je fus obligé de revenir me placer au bord de la banquise où je suis resté du 17 au 21.

Le 21 à deux heures du matin, par une brume très épaisse, je fus abordé par un trois-mâts anglais le « Québec ». Il nous a fallu deux grandes heures pour nous séparer l’un de l’autre. Mes avaries étaient importantes, mes voiles très endommagées et un de mes mâts rompu. De plus, à cause de l’abordage, mon bateau n’était plus en bonne condition pour continuer le voyage. Je pris donc la décision de revenir à Saint-Pierre. Je mis en route avec un vent violent soufflant du Sud-Ouest.

Le lendemain 22, j’ai reconnu l’île de Terre-Neuve à une distance approximative de trente milles dans le Nord. Le 23, le vent soufflait très légèrement du Sud-Ouest, avec une brume très épaisse. Je fis un sondage qui me donna une profondeur de 180 mètres. Dans cette brume épaisse je naviguais à une vitesse d’environ 3 nœuds. A 7 h 45 je procédais a un autre sondage; avec ma ligne de sonde de 180 mètres je n’ai pas trouvé le fond. A 8 h 30 le navire talonna fortement sur la dune de la côte ouest de Langlade. Aussitôt j’ai mis à l’eau une chaloupe dans laquelle nous avons déposé une ancre munie d’un câble. Nous nous sommes éloignes du navire en direction du large et nous avons mouillé l’ancre à une profondeur de 100 mètres. Malgré tous nos efforts, nous ne sommes pas parvenus à renflouer le navire en virant sur cette ancre. A 4 heures du matin, j’ai avisé l’officier de marine de Miquelon en lui demandant s’il pouvait apporter de l’aide pour renflouer mon navire. Cette personne était démunie de moyens et je restais seul avec mon équipage pour tenter de sauver mon bateau. Malgré tous nos efforts, compte tenu de la violence du ressac qui poussait le navire vers le rivage, nous fûmes obligés d’abandonner notre bateau prisonnier des sables de la dune. Je quittais mon navire avec beaucoup de regret et d’amertume car c’était un bon bateau et il n’y avait que neuf mois qu’il était construit. »