11/09/1929 : Grèbe

Le « Grèbe » était un trois-mâts goélette français, immatriculé à Tréguier. Il était commandé par le capitaine Rouzes et avait un équipage de sept hommes. Le bateau avait quitté le port de Cadix (Espagne) le 20 juillet à destination de Saint-Pierre. Le capitaine avait réussi le 8 septembre à faire un point observé qui le plaçait sur la latitude de 45°11° Nord et la longitude de 55°10 Ouest. Il mit le cap au 340° pour traverser le Banc de Saint-Pierre et atterrir sur les îles Saint-Pierre et Miquelon par le sud.

Ainsi qu’il est fréquent dans ces parages, à cette époque de l’annee, la brume s’abattit sur le navire.

Le 10 vers minuit un formidable talonnage ébranla le bateau de la quille aux mâts. Le capitaine comprit tout de suite la cause de cet ébranlement. Son bateau était au sec comme disent les marins. Il donna l’ordre de mouiller les deux ancres et mit ses pompes en action. Le pont est balayé par des lames monstrueuses et le canot qui est mis à la mer est réduit en miettes le long du bord. Les hommes crient au secours et allument un fanal. Rien ne répond aux alentours à leurs appels désespérés.

La charpente du navire souffre et d’effroyables craquements se font entendre. La situation devenant de plus en plus critique, le capitaine qui a gardé tout son sang froid, ordonne à ses hommes de grimper dans la mâture. L’aube enfin, les vagues brisent partout, la mer ressemble à une immense chaudière en ébullition.

Le capitaine s’adressant à l’équipage, dit: « qui veut gagner la terre ». Six voix se font entendre. Le capitaine les fixant l’un après l’autre, choisit le plus robuste et le meilleur nageur, c’est un solide breton, Yves Darathoën, qui se jette à la mer aussitôt et après trois quarts d’heure d’efforts, réussit à prendre pied sur la terre ferme. Le matelot est épuisé, mais songeant à ses camarades en danger de mort, repart en chancelant en direction de la ferme de M. Victor Gautier, où il arrive complètement vidé de ses forces, puisant dans un dernier effort, l’énergie qui lui permet d’alerter les fermiers. Un ouvrier, Louis Largoët, court en ville donner l’alarme aux autorités maritimes et à la population qui accourt sur la grève de la Pointe Blanche, lieu du naufrage.

L’administration des Affaires Maritimes a fait diligence, le vapeur Dangeac après avoir franchi la passe du Sud-Est, va doubler le Cap Noir et va essayer d’atteindre la Pointe Blanche. Des hommes sont sur la grève, on les a vus du bord et l’espoir revient au cœur de l’équipage du « Grèbe ». Mais que l’on fasse vite car la situation empire à chaque minute. Il y a trop de brisants pour que les secours viennent de terre. Le « Dangeac » pourra-t-il sortir vainqueur de sa lutte avec la tempête? Eh bien non : Son gouvernail faussé par la houle, l’oblige à retourner au port.

Est-ce que les marins du « Grèbe » seront comme tant d’autres victimes de la « grande mangeuse d’hommes »? Non, car deux hommes se sont précipités dans leur doris. Le pilote Pierre Gervain et son matelot Dominique Sarazola volent au secours des naufragés. Le doris bondit sur les vagues et disparaît derrière le Cap Noir. Un quart d’heure plus tard il est à la Pointe Blanche.

Du rivage on a aperçu le doris et l’émotion est à son comble. Plusieurs fois il passe le long du bord, deux hommes sautent dans le petite barque. Il revient deux fois, trois fois. Arrivera-t-il à emmener les six hommes? Oui c’est gagné, la foule sur le rivage pousse un hurrah et acclame le courageux pilote et son matelot. Le doris met le cap en direction du port en laissant un navire dont le sort est scellé.

Il est environ dix heures quand le doris vainqueur dépose à la cale du Gouvernement les six naufragés. Devant une foule énorme, le gouverneur Sautot embrasse les deux vaillants marins Saint-Pierrais qui viennent d’arracher à la mort six marins français.

Quelques mois plus tard la médaille de sauvetage sera attribuée à ces deux vaillants et courageux marins.

30/12/1928 : Parisienne

La « Parisienne » était un magnifique trois-mâts latin de l’armement Paul Chartier et Cie, de Saint-Pierre et Miquelon. Il était commandé par le capitaine au long cours Jacob. Ce bateau quitta le port de Bordeaux à la fin du mois de novembre 1928, avec un chargement complet de marchandises diverses. La traversée de l’Atlantique s’accomplit assez normalement, compte tenu de la saison.

Le 30 décembre, quelques heures avant l’aube, le capitaine Jacob se trouvait sur les petites sondes à quelques milles dans le sud de l’île de Saint-Pierre. Le temps était clair et le vent soufflait modérément du O.S.W. Juste à la « pointe du jour » la ‘Parisienne’ se trouvait à la hauteur du Cap Noir.

Voulant faire la « nique » aux pilotes, le capitaine Jacob décida de franchir la passe du Sud-Est. Ce en quoi il avait tort, car c’était le moment du jusant et dans cette passe assez étroite, il arrive souvent que le vent « refuse » de deux quarts (530) et le bateau qui se trouve trop engagé ne peut virer de bord, ce qui rend sa position dangereuse.

Au milieu de la passe le capitaine s’aperçut de l’erreur qu’il avait commise. Le vent « refusait » de plus en plus, il mouilla ses deux ancres en catastrophe mais il était trop tard. Quand le bateau fit « tête » sur ses deux chaînes, l’arrière était sur les rochers de la Pointe Leconte à moins de cent mètres où s’échoua le « Paul Simone » le 29 décembre 1921. Le pilote Gervain arriva sur les lieux immédiatement et il évacua le capitaine et l’équipage du bateau échoué, dans son doris.

Dans l’après-midi, une partie de la quille se détacha de la coque, et peu avant la nuit les premières marchandises sortaient du bateau qui avait un fort trou à tribord. Le lendemain de nombreuses caisses sortirent du bateau et certaines s’échouèrent sur la grève, au grand plaisir des habitants.

Le 1er janvier 1930 le vent soufflait grand frais du Nord. Toute la journée le bateau se vida de sa marchandise qui partit en direction du large. Une partie de la cargaison fut sauvée et entreposée à terre sous le contrôle de gardiens. Les grandes quantités de marchandises furent sauvées par les habitants, en particulier des caisses de boissons, rhum, cognacs, liqueurs, champagne, etc.

Certaines personnes prétendent que de nos jours, il existe encore dans quelques familles de l’île de bonnes bouteilles en provenance de ce naufrage. Je me garderai de formuler pareille affirmation, mais croyez-en l’auteur qui est un authentique « Pied-rouge », quand il affirme que pendant de longues annees après ce naufrage, ses compatriotes agrémentèrent la fin de leurs repas avec une bonne bouteille de Grand-Marnier, Cointreau ou autre Fine-Champagne.

14/12/1928 : Pacifique

Le 14 décembre 1928 vers 10 heures du matin, le chalutier français « Pacifique » de 450 tonnes, immatriculé à Fécamp, commandé par le capitaine Ernest Cahoerd, sortait de la rade de Saint-Pierre à destination de Fécamp. Ce chalutier avait un équipage de 38 hommes et il avait à son bord quatre passagers. La veille il était revenu des lieux de pêche pour se ravitailler en eau et en charbon pour effectuer sa traversée de l’Atlantique a destination de la France.

Dix heures après le départ de Saint-Pierre, les chalutiers ‘Commandant Emaille’, ‘Mont Kemmel’ et ‘Asie’ qui étaient sur le « Bancs », captèrent un signal de détresse du Pacifique, mais ce signal quoique distinct était de très faible tonalité. Ils essayèrent d’entrer en contact avec le Pacifique, mais malgré leurs appels répétés, ils n’y parvinrent pas.

Le lendemain, le chalutier « Asie » avisa son représentant à Saint-Pierre de la réception du message de détresse du « Pacifique ». L’agent informa aussitôt les agents de la Compagnie à Saint-Jean de Terre-Neuve, Messieurs Harsey et Compagnie. Les recherches furent organisées sur la côte de Terre-Neuve, mais elles ne donnèrent aucun résultat. Les recherches furent effectuées jusqu’au 21 décembre où elles furent abandonnées. Cependant le 20 décembre, un habitant de Ship-Harbour, petite localité de la Baie de Plaisance, en allant à la chasse, fut stupéfait de voir une chaloupe dite « de vapeur » montée très haut sur la grève, et qui portait le nom de « Pacifique » peint en noir sur sa coque.

Voici le rapport que cet homme fit aux autorités de son pays après sa découverte.

« Le 20 décembre 1928, après avoir pris mon fusil, je suis allé sur la côte faire un tour à la chasse. J’ai aperçu un canot que je dénommerais « canot de vapeur », monté à sec sur le haut de la grève, et je m’en suis aussitôt approché. Il était échoué sur sa quille, et à ma grande stupéfaction je vis un homme étendu dans le fond, face en bas. Il y avait deux cartes postales dans le fond de l’embarcation, qui n’avait aucune trace d’eau a l’intérieur. Il y avait également dans le canot, deux ancres et une poulie double, c’est toute ce qu’elle contenait, en plus de l’homme mort. Je n’ai pas touché le corps à ce moment. Je suis revenu au port afin de m’adjoindre les quelques hommes disponibles, et il était tard quand nous sommes arrives sur les lieux.

Apres avoir retiré le corps de l’embarcation, nous l’avons transporté au port, et mis à l’abri pour la nuit. Le lendemain, j’ai télégraphié et on m’a répondu de l’enterrer. Ce même jour nous avons fait un cercueil dans lequel nous l’avons déposé après l’avoir lavé et vêtu de dessous neufs, puis enseveli dans un drap propre.

Les seuls vêtements qu’il portait lorsqu’il fut trouvé et retiré de l’embarcation se composaient d’un complet, de linge de dessous en flanelle rouge et d’un pantalon de drap bleu. J’ai trouvé sous lui une autre carte et un briquet. Rien dans ses poches qu’un couteau de poche. Aucun signe ou marque pouvant permettre de l’identifier.

Nous l’avons enterré samedi 22, le mieux possible, dans le cimetière catholique. Comme il était impossible de se procurer un prêtre, le temps était trop mauvais pour sortir du port, nous lui avons cependant fait un enterrement convenable et absolument tel que s’il se fut agi d’un des nôtres. J’envoie les cartes postales, photos et mèche de cheveux.

Veuillez me faire savoir qui est cet homme, me renseigner sur sa famille si on la trouve, afin que je puisse communiquer avec elle.

J’ai eu les soucis et tous les dérangements au sujet de cet homme, sauf ceux qui ont causé son enterrement. Quoique ne demandant aucune récompense pour ce que j’ai fait ; j’avoue cependant que je suis un homme pauvre et que j’accepterais volontiers, quoi que ce fut qui pourrait être accordé à cet effet. Les dépenses ne furent pas élevées, cinq ou six dollars, valeur du bois, des vêtements de dessous, etc.

J’ai chez moi les objets qui étaient dans le canot, lequel est en lieu sûr.

Signé : Patrick D. Griffiths à Ship Harbour, Baie de Plaisance

L’homme qui était dans le canot fut identifié, et la famille Griffiths a échangé une correspondance régulière pendant des annees avec la veuve du marin trouvé dans le canot. Il s’agit de Roger Pichet qui faisait partie de l’équipage du chalutier français « Pacifique » disparu corps et biens dans la soirée du l4 décembre 1928. Ce bateau sombra vraisemblablement au Cap Sainte-Mary (entrée de la Baie de Plaisance – Terre-Neuve).

Peut-être un jour, un adepte de la pêche sous-marine découvrira-t-il au pied d’une falaise de Terre-Neuve, l’épave du « Pacifique » dont la disparition affecta pendant de nombreuses annees la population de nos Iles.

04/11/1928 : Skipper

Sur la côte de la Nouvelle Ecosse et de l’île de Terre-Neuve, il existait un assez grand nombre de petits cargos qui ravitaillaient les populations des ports qui n’offraient qu’un moyen de communication, le transport par voie maritime

Un de ces cargos se nommant ‘Skipper’ transportait du fret, la poste et des passagers entre la Nouvelle Ecosse et St Pierre et Miquelon.

Le 4 novembre 1928, à la suite d’une tempête d’automne, le « Skipper » s’échoua à quelques milles de son port de destination, au lieu dit « Cap au Diable » sur la côte nord de l’île de Saint-Pierre.

Il n’y eut à déplorer aucune victime, mais seulement une faible partie du courrier put être sauvée.

11/06/1928 : Guitou

Guitou (Photo. Michel Briand-Ozon)

La goélette française « Guitou » s’échoua sur la cote ouest de Langlade, un jour où la brume fut particulièrement épaisse. Le même jour, un autre navire, un anglais, le « J.L. Sinclair » fut également victime de la même brume et de la même côte inhospitalière.

01/12/1926 : Totila

Le « Totila » était un cargo allemand de 22 ans, appartenant à la Société Hermann Kimme et Go de Bremen. Il avait une machine de 335 chevaux et était commandé par le capitaine Martin Reemts, de Bremen. Il avait un tonnage de 3940 tonnes de jauge brute et son équipage se composait de 30 hommes.

Dans la soirée du 1er décembre, par une nuit très noire à cause d’une brume très épaisse, le « Totila » s’échoua sur la côte sud de Langlade, au lieu dît ‘Trou au Renard’. Il fut probablement victime de courants violents ou c’est peut-être une déviation du compas qui fit perdre sa route au capitaine.

Les mauvaises conditions atmosphériques continuèrent pendant deux jours et un remorqueur venu de Saint-Pierre arriva sur les lieux mais il n’y avait plus rien à faire pour sauver le navire. Au moment de l’échouage le capitaine avait mis la machine en arrière toute, mais le navire était monté très haut sur les rochers qui avaient démoli sa coque, provoquant l’envahissement de l’eau dans les cales. La mer réussit en peu de temps à faire disparaître le « Totila ».

25/01/1925 : Gertrude W

L’histoire du naufrage de cette petite goélette, le « Gertrude W » de Rose Blanche, Terre-Neuve, est une histoire terrifiante. Ce drame maritime qui causa la perte d’un bon bateau, aurait pu se terminer par une tragédie bien plus grande encore. Il est absolument incroyable que ces sept hommes aient pu échapper à la mort qui les guettait pendant de longues heures. Ce qui est vraiment remarquable, c’est la résistance de ces marins qui n’ont jamais désespéré au moment le plus difficile, le plus douloureux de leur carrière de marins. Voici, amis lecteurs, un drame émouvant qui mérite toute votre attention.

La température toujours assez basse au mois de janvier est déjà pour les marins un handicap sérieux. La mer et ses réactions subites en cette saison est également un handicap pour un petit bateau âge de prés de 50 ans. Après trois jours passés au milieu d’une violente tempête, le ‘Gertrude W’ était littéralement à la merci du vent et des vagues qui le ballottaient comme un bouchon. Le compas avait été arraché de son habitacle, les doris étaient passés par-dessus le bord à la suite du passage d’une vague, le moteur était en panne. Les vivres et toutes les provisions étaient endommages par l’eau et les marins n’avaient même plus une allumette qui leur aurait permis d’allumer du feu pour se réchauffer et se sécher. Et la tempête continuait entraînant la goélette sur la mer comme un fétu de paille. Le timonier s’était amarré à la barre du gouvernail avec un bon filin, c’est d’ailleurs grâce à cette précaution qu’il conserva la vie, car il fut arraché de la barre par une vague monstrueuse et il passa par-dessus le bord. Ses compagnons le rattrapèrent mais il était à ce moment absolument inconscient. Le capitaine prit la place du timonier, il n’avait plus aucun point de repère car son compas, je l’ai écrit plus haut, était passé par-dessus bord! Il n’eut pas trop de son expérience et des instincts de Terre-Neuvien et de marin consommé, pour réussir dans une telle tourmente à tenir dans le vent l’étrave de son bateau.

Vers 11 heures du soir, au cours de cette nuit de désespoir et d’épouvante, le navire ressentit un choc violent qui l’ébranla de la quille aux mâts. C’était l’échouage sur cette dangereuse côte de Langlade à environ six milles de la Pointe Plate. Immédiatement après l’échouage, plusieurs bordages de la coque du « Gertrude W » se brisèrent et le navire fut mis en miettes rapidement. Les sept hommes furent précipités sur les rochers et ce fut presque un miracle qu’ils ne soient pas tués ou blessés gravement par la mer en furie. Ils réussirent, l’instinct de la conservation aidant, a grimper la falaise du Cap.

Absolument exténués, n’ayant pris aucune nourriture depuis trois jours, leurs vêtements gelés, en particulier le timonier qui n’avait plus de coiffure, plus de mitaines ni de bottes, à la suite de son passage par dessus bord et de son séjour dans l’eau. Le seul signe de civilisation et de vie pour eux était la lumière du phare de la Pointe Plate distant d’au moins dix kilomètres. A demi paralysés, titubant dans cette nuit glacée, sur un terrain dur et inconnu, ils se dirigèrent tous les sept, la lumière les guidant, vers le phare.

Après quatre heures d’efforts inouïs, accomplissant la dernière partie de leur calvaire en rampant sur les mains et sur les genoux, le capitaine et un jeune matelot de quatorze ans, réussirent à parvenir à la porte des maisons des gardiens. Immédiatement ils furent réconfortés par les gardiens et leurs familles. Les gardiens qui dans leur carrière avaient déjà vu des marins en détresse, comprirent que ces deux malheureux n’étaient pas seuls, et ils partirent immédiatement à la recherche des autres. Ils les trouvèrent tous les cinq se tenant les uns aux autres et presque recouverts par la neige à la lisière du bois. Leurs vêtements étaient entièrement recouverts d’une carapace glacée et seulement une petite parcelle de vie existait dans leurs pauvres yeux. Sous la poigne des solides sauveteurs, les naufragés furent placés sur des luges et transportés dans les maisons des gardiens de phare. Les gardiens et leurs épouses qui connaissaient si bien les infortunes des marins naufragés, entourèrent de soins vigilants les sept rescapés du « Gertrude W ». Il fallut attendre trois jours pour que les pauvres marins reviennent lentement à la vie.

Quelques jours plus tard les sept marins, profondément bouleversés prenaient congé, les larmes aux yeux, de leurs généreux sauveteurs. Ils quittèrent Pointe Plate par un vent rageur à bord du « Glencoe », un vapeur de Terre-Neuve. Ce navire fit escale à Saint-Pierre et les sept marins furent placés à l’hôpital de cette ville pour compléter les soins qu’ils avaient reçus de ceux de la Pointe Plate qui étaient devenus leurs amis. A l’hôpital de Saint-Pierre, ils furent entourés de soins vigilants et reçurent la visite de nombreux Saint-Pierrais, qui se substituant pour un moment à leurs familles, vinrent leur apporter un peu de réconfort.

L’odyssée des rescapés du « Gertrude W » était terminée et un nouveau nom venait s’inscrire au martyrologe des navires victimes de la terrible dune.

05/10/1923 : Nathaly J. Nelson

L’histoire de ce naufrage peut se rattacher à cette époque que les Saint-Pierrais nommèrent « Le temps de la fraude ». En 1919 le Gouvernement des Etats-Unis fit voter une loi que l’on désigna sous le nom de loi Volstead, du nom de l’homme politique américain qui proposa cette loi au parlement américain. Cette décision politique consistait à interdire toutes les importations d’alcool aux Etats-Unis. Plusieurs pays profiteront de l’occasion en introduisant clandestinement des alcools dans le pays précité. Les îles Saint-Pierre et Miquelon n’échappèrent pas à cette action, et ce trafic qui apporta aux îles des sommes considérables dura de 1920 à 1935, où la France mit fin à ces activités de contrebande. Il faut reconnaître que ce trafic considéré par les Américains et les Canadiens comme illicite ne l’était pas pour les Français.

Pendant ces quinze annees, de nombreux cargos amenèrent d’Europe des milliers de caisses de whisky, champagne, cognacs et liqueurs de toutes sortes. Une importante flottille de vedettes (rhum runners) emportaient ces alcools sur la côte américaine et livraient leurs cargaisons au moment de la nouvelle lune (lune noire) de préférence. Le gouvernement français subit de telles pressions pour faire cesser ce trafic que certaines décisions furent prises après les annees 1930-1932, mais en réalité le trafic continua jusqu’au moment où le gouvernement américain se décida à abroger la loi.

Le Nathaly J. Nelson était une magnifique goélette appartenant au Capitaine Stephen Fudge de Cloucester, U.S.A. Ce bateau officiellement pratiquait la pêche, mais en réalité, il faisait la contrebande de l’alcool. Ce genre de trafic était très prisé à l’époque. On mettait l’alcool au fond de la cale, et on arrimait de la morue salée par dessus. Les cutters américains furent très souvent trompés par les fraudeurs qui pouvaient impunément livrer l’alcool à leurs clients. Le Nathaly J. Nelson avait une jauge de 117 tonnes.

Il avait quitté Belloram (Terre-Neuve) le 17 septembre. Sa cargaison se composait de 85 tonnes de whisky qu’il transportait à Tayol, port des Bahamas, non loin de Nassau. Le temps étant incertain, le Capitaine Fudge décida de relâcher dans le port de Saint-Pierre. La brume entourait le navire depuis son départ de Belloram, et c’était le moment d’une « marée de syzygie » qui amplifie le courant d’une façon considérable. Le capitaine Fudge se croyait à plusieurs milles au large de l’île de Saint-Pierre quand brusquement le navire fut ébranlé par un choc formidable. C’était l’échouage sur la côte Sud de Saint-Pierre, à la Pointe Blanche exactement.

Quand l’aube parut le capitaine s’aperçut que son navire était échoué sur des rochers d’où il ne pourrait être retiré. Après que l’équipage eut évacué le bord, les experts considérèrent que le navire devait être déclaré perte totale. Environ un cinquième de la valeur de la cargaison évaluée a 5,000 dollars put être sauvée.

30/09/1923 : Troutpool

Troutpool (Photo Docteur Louis Thomas. Coll. Yvonne Andrieux)

Le vapeur anglais « Troutpool » est venu s’échouer dans la soirée du 30 septembre à un endroit nommé « Diamant » sur la côte sud de l’Ile de Saint-Pierre. L’équipage de ce navire fut sauvé mais le bâtiment termina sa carrière sur ces rocs. La première partie du bateau qui se désintégra fut l’arrière, à cause des vagues qui déferlaient sur cette section du navire. Au cours des annees qui suivirent, la mer par son travail incessant brisa le bateau en menus morceaux. Plus de cinquante ans après ce naufrage, on peut voir encore des vestiges de ce qui était à cette époque un cargo moderne.

24/04/1923 : Raymond

Au printemps 1923 les icebergs étaient très nombreux depuis le point de latitude de Saint-Jean de Terre-Neuve jusqu’à dépassé le point de latitude du Bonnet Flamand, le banc de pêche le plus loin dans l’Atlantique. Deux jours avant, le trois-mâts français « France et Bretagne » avait été la victime d’un de ces icebergs géants parsemés dans l’océan sur une distance considérable.

Le 24 avril, le trois-mâts français « Raymond » immatriculé à Fécamp, jaugeant 420 tonnes, commandé par le capitaine Jean Heuzé, était en route pour les lieux de pêche. La vitesse du navire était de l’ordre de trois nœuds, la brume très épaisse ne laissait qu’une visibilité de l’ordre de 20 à 25 mètres.

Soudain le navire se trouva en présence droit devant d’un énorme iceberg. Il était impossible de manœuvrer assez rapidement pour éviter cette masse de glace, le choc se produisit et il fut fatal pour le pauvre bateau. Fait à signaler, le capitaine du « Raymond » n’avait pas constaté de changement de température avant la collision. Généralement cet abaissement de température est très caractéristique du voisinage des icebergs. Le capitaine prit les mesures nécessaires pour assurer le sauvetage de son équipage.

Les doris furent mis à la mer et on embarqua d’amples provisions au cas où le séjour dans les doris se prolongerait. Ces malheureux ne se faisaient pas d’illusions. Ils savaient qu’ils allaient à la rencontre de nombreuses souffrances de toutes sortes, fatigue, froid, désespoir, et dans les jours qui suivirent, deux marins moururent d’épuisement. Huit doris avaient quitté le « Raymond ». Le capitaine avait donné des instructions pour rester groupés, malheureusement quelques jours plus tard, deux doris se séparèrent dans la brume et disparurent au grand regret de leurs compagnons d’infortune.

Le désespoir commençait à faire ses ravages parmi les équipages des doris perdus sur la mer, lorsqu’ils entendirent à petite distance la corne à brume d’un bateau. Les 28 hommes des doris poussèrent un véritable hurlement de détresse qui fut entendu à bord du navire qui s’approchait. Le capitaine de ce navire mît en « panne » et fit mettre à la mer un doris monté par trois hommes, qui partit faire des recherches aux alentours. Il ne tarda pas à apercevoir les doris et à les guider ensuite vers la bateau sauveteur. Moins d’une heure après les malheureux naufragés se trouvaient sains et saufs à bord du trois-mâts « Carioca » de Saint-Malo. Ils remercièrent chaleureusement le capitaine et l’équipage de ce bateau de les avoir sauvés. Ils remercièrent la providence d’avoir placé sur leur route un bateau sauveteur pour leur permettre de vivre et de retrouver leurs familles, que pendant de longues heures ils avaient bien cru ne jamais revoir.