11/12/1919 : Exilda

Exlida (Photo. Joseph Le Huenen)

Dans les premiers jours du mois de décembre 1919, deux capitaines de voiliers se rencontrèrent chez le même agent à Saint-Pierre. L’un était français Louis Le Hégarat né à Kerfot, petit bourg breton des Côtes du Nord près de Paimpol. L’autre était anglais, C. Williams né à Baie d’Argent, petit hameau situé dans la Baie de Fortune à Terre-Neuve. Le français commandait un magnifique trois-mâts goélette La Paimpolaise, bateau très solide et ayant la réputation d’être un bon marcheur. L’anglais était capitaine d’un superbe trois-mâts latin Exilda immatriculé à St.Jean de Terre-Neuve, qui avait également la réputation d’un véritable coursier des mers. Les deux bateaux allaient vers la même destination, un port de France avec un chargement de morue.

Quand ils eurent terminé de traiter leurs affaires chez l’agent, les deux capitaines sortirent accompagnés d’un ami, familier de la langue anglaise. Ils firent ensuite ce que tout marin digne du nom faisait à l’époque; ils allèrent « boire un coup » dans un café voisin. Après quelques libations d’un vin généreux, les langues se délièrent au point que les deux capitaines décidèrent de faire le pari pour une somme relativement importante pour l’époque, à qui arriverait le premier au port de destination. Dans ce pari, il existait une clause, les deux bateaux devaient partir le même jour. Ils se séparèrent bons amis, en se donnant rendez-vous dans le port français.

Le 10 décembre dans l’après-midi le temps était très beau avec absence totale de vent. Pour gagner du temps et dans le but de partir dés l’aube du lendemain, le capitaine anglais demanda au remorqueur « Saint-Pierre » de le mener en rade. Arrivé sur les lieux, il mouilla son ancre et il prit des dispositions pour partir dés l’aube du lendemain.

Dans la nuit le vent commença à souffler du nord puis augmenta d’intensité. Quand l’aube parut, la tempête était déchaînée, la rade était blanche d’écume. Dés qu’il s’aperçut que le vent augmentait le capitaine Williams mouilla sa deuxième ancre, errce égalisant sur les deux chaînes une « touée » (argot maritime) convenable.

Vers midi, l’Exilda commença à chasser sur ses deux ancres. Le mouvement s’amplifia et vers trois heures de l’après-midi, le capitaine était convaincu que ce serait l’échouage dans quelques heures. A moins d’une encablure (190 mètres) il existait un plateau rocheux, le Flétan, avec une tête au jusant (marée basse) de 1,50 m. A 16 H 30 le bateau talonna sur le haut-fond et des morceaux de quille vinrent à la surface. Le capitaine fit mettre deux doris à la mer, les hommes y montèrent juste avant la nuit, et se laissèrent pousser par le vent vers l’Ile aux Chiens, où ils abordèrent sans difficultés, aidés à l’arrivée par les pêcheurs de l’Ile, qui de terre avaient suivi toutes les péripéties de l’échouage.

La tempête souffla toute la nuit, et le lendemain la coque du navire s’était brisée sur les rochers et un des trois mâts était abattu. A l’accalmie les marins anglais regagnaient Saint-Pierre. Le lendemain 12 décembre, dans l’après-midi, La Paimpolaise toutes voiles dehors, franchissait la passe du sud-est. Avant ce départ, les deux capitaines s’étaient rencontrés. Sans un mot, car ils ne se comprenaient pas, ils se serrèrent longuement la main, leurs veux a tous deux étaient embues de larmes.

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