22/09/1866 : La Grande Tempête

Il y a peu de régions au monde où le temps change aussi rapidement qu’autour des îles Saint-Pierre et Miquelon. Il n’est pas rare que le vent fasse dans une journée le « tour du compas  » comme disent les marins. Ce changement rapide de direction du vent est très souvent lié à de grandes variations barométriques qui sont des signes annonciateurs de violentes tempêtes, en particulier au moment de l ‘équinoxe d’automne.

Le 22 septembre 1866 une de ces terribles tempêtes éclate de façon soudaine vers cinq heures de l’après-midi. Elle ne durera que trois ou quatre heures, mais sa violence est telle qu’après son passage c’est la dévastation qui règne dans la rade et dans le port où un très grand nombre de bateaux sont au mouillage, venus se mettre à l’abri après un long séjour en mer.

Sur la rade, le transport de troupes « Abondance » brise une de ses chaînes, et aussitôt « chasse » avec une seule ancre. A deux heures du matin, après avoir talonné, il coule. A l’exception de trois hommes, l’équipage entier est sauvé grâce au chien de Terre-Neuve d’un habitant, qui a porté dans sa gueule un filin à bord du bateau, ce qui a permis d’établir un va-et-vient et de sauver en pleine nuit l’équipage.

Les deux bricks français « Jeune Agathe » de Granville, capitaine Gruenais, et « Augusta » de Saint-Malo, capitaine Guillon, sont en difficultés, devant la cale de l’armement Clément. « L’Augusta  » est complètement submergé et la « Jeune Agathe  » est si endommagé qu’il a peu de chance d’être renfloué.

Les deux goélettes anglaises « Caroline » de Saint-Jean de Terre-Neuve, et « George C Laurens » de Sydney, Nouvelle Ecosse, s’échouent au Cap à l’Aigle. L’équipage de la « Caroline » est transféré sur le « George C Laurens » car son côté bâbord est complètement démoli. A l’exception du capitaine de la « Caroline », tous les hommes sont sauvés. Dans la nuit la « Caroline » disparaît.

Le capitaine Fouace qui commande le navire « Léonice » avec six hommes de son équipage, ne peuvent pas regagner en doris leur bateau qui est au mouillage. Ils trouvent refuge a bord du sloop « Sainte-Augustine » de Saint-Malo, commandé par le capitaine Raoul. Leur séjour à bord de ce bateau ne durera pas longtemps car à son tour, le sloop brise ses chaînes, dérive en direction du Cap a l’Aigle et va se briser sur un gros rocher nomme Caillou de Malvilain. Les dix hommes de l’équipage et les six hommes du « Leonice » se noient ou sont tués sur les rochers de la côte. Plusieurs corps viennent s’échouer sur le rivage et sont ensuite transportés en ville.

La goélette « Alcyon » de Saint-Pierre, capitaine Lecornu, dérive en dehors de la rade et chavire a la hauteur du Colombier. Heureusement, l’équipage réussit à mettre un doris à la mer et monte dans cette frêle embarcation. Après avoir passé dans le doris une nuit terrible, les naufragés seront recueillis le lendemain matin par le pilote Ivon et ramenés dans le port de Saint-Pierre.

Le petit sloop de l’île aux Chiens « Elisabeth », capitaine Cordon Victor, qui était en rade, est obligé de prendre le large, avec a son bord un seul matelot et un petit pêcheur de l’île aux Chiens nommé Norais. La journée du lendemain se passe sans nouvelle de ce petit bateau. Le surlendemain « l’Elisabeth » qui s’est vaillamment battu contre la tempête, rentre dans la rade toutes voiles dehors.

Le brick français « Alice » de Saint-Malo, capitaine Savary est abordé par plusieurs navires qui lui causent de graves avaries. Le navire commence à prendre l’eau et l’équipage est obligé de l’abandonner et de gagner un autre bateau voisin. « L’Alice » coule au mouillage. Une autre petite goélette portant également le nom « d’Alice », appartenant à l’armement Théodore Clément, se brise sur un gros rocher avoisinant le quai à Heudes.

La goélette « Dard » s’échoue plusieurs fois. Finalement elle disparaît.

La goélette « Saint-Claire », capitaine Lemoine, après s’être échoué une première fois, réussit à passer entre le Caillou de Malvilain et le rocher Petit Saint-Pierre. Le navire réussit à passer la tempête au large et il reviendra le surlendemain au port avec seulement des avaries dans ses deux mats.

D’autres bateaux sont plus heureux, le trois mâts « Jules » de Saint-Malo, capitaine Rauzé, malgré de fortes avaries sur son côte tribord et à ses mâts, réussit à s en sortir.

La goélette « Lagos », capitaine Brindejonc, perd ses deux mâts qui ont été coupés sur les ordres du premier officier.

Les goélettes « Lucie « , capitaine Azémas, de Sète, et « Clara », capitaine Amptil, de Fécamp, après s’être échouées plusieurs fois réussissent à s’en tirer avec seulement des avaries mineures

A l’intérieur du port la goélette « Marion  » de Sydney, s’échoue sur un plateau rocheux en face de la maison Lemuet. Le navire, monté très haut sur le haut-fond, réussit à s’en tirer car ce plateau rocheux n’est pas dangereux.

Les deux bricks-goélettes « Marie-Blisabeth » de Saint-Servan, capitaine Salomon, et la « Cérès » de Granville, capitaine Lamusse, s ‘échouent sur les roches voisines de la cale du Gouvernement. Ces deux bateaux seront renfloués par la suite.

Le brick-goélette « Emile et Auguste » de Saint-Pierre, talonne sur une « basse » prés de la cale du Gouvernement. Le navire se remplit d’eau et un de ses mâts se brise. Le bateau sera renfloué quelques jours plus tard.

La goélette « Recontre » appartenant à Monsieur Téletchéa, s’écrase sur le quai de la Roncière.

La goélette « La Lizzy » perd ses deux mâts. La goélette « Vengeur » de Saint-Pierre, chavire et chasse sur ses ancres. L’équipage réussit à se sauver.

La goélette « Mauve » de Saint-Malo, capitaine Massu, talonne la « basse » du gouvernement et perd son gouvernail. Le navire n’a pas coulé. Il se retire sans trop de mal ayant seulement des avaries légères à ses mats et dans ses haubans.

La goélette « Adélaïde », capitaine Fauchon, de Saint-Pierre, s’échoue près de la cale du gouvernement. Tout son gréement est avarié, mais la goélette sera renflouée après la tempête.

Le brick « Jack » de Binic, s’échoue devant la maison Beautemps. Il a seulement perdu le plus petit de ses mâts.

L’équipage de la goélette « Aimable-Eliza » réussit à lancer une amarre à terre. Cette liaison avec la terre permet à l’équipage de se sauver. Mais l’amarre s’étant rompue peu après, le bateau disparaît vers le large.

A Savoyard, le brick « Angelina » de Granville, se perd corps et biens. Plusieurs corps viennent s’échouer sur la grève. Dix-huit marins périssent dans ce naufrage et seront identifiés par un marin d’un autre bateau qui a travaillé avec eux sur les Bancs.

La goélette « Maria » fait également naufrage à Savoyard. Seul le chien du bord réussit à venir à terre. Les spectateurs de terre voient horrifiés, les vagues écrasant et broyant les corps de ces malheureux sur les rochers de la côte.

Quand la tempête s’est calmée après cette « nuit de mort », un spectacle de catastrophe et de destruction se déroulait devant les yeux d’une population épouvantée par ce drame auquel elle venait d’assister. Cette tempête du 22 septembre 1866 est le plus grand sinistre maritime enregistré dans la colonie. Elle a laissé pendant plusieurs générations un souvenir d’épouvante et de tragédie parmi la population des îles Saint-Pierre et Miquelon.

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