01/01/1999 : Le Service de la Fourrière.

Le Service de la Fourrière.

Par Rodrigue Girardin.
Service des Archives

Peu de temps après la dernière prise de possession de l’archipel de 1816, la divagation des animaux est suffisamment importante en 1819 pour que les autorités décident de prendre des mesures de rétorsion.

Ainsi, le deux août de cette annee, alors que le travail de séchage du poisson bat son plein sur les graves, un avis officiel est placardé en ville : il indique que « toute chèvre arrêtée sur une grève donnera lieu au paiement d’une amende proportionnée au dégât qu’elle aura fait » (concernant les dégâts commis par ces caprins, un arrêté, cette fois, sera pris le 21 juin 1824).

Il semble cependant que l’animal errant le plus blâmable soit le chien. En effet, de nombreux avis et arrêtés sont pris de 1823 à 1849. En 1824, le Commandant des îles ordonne même de tuer les chiens errant la nuit dans les rues.

Un autre genre est concerné par les arrêtés en raison des dégâts qu’il cause sur les graves : le bovidé.

Tous ces animaux vont de grave en grave, piétinant, dévorant et souillant les produits de pêche et il parait évident que de vives plaintes sont adressées aux autorités afin d’enrayer le mal.

Le 21 février 1851, considérant que les dispositions diverses qui régissent la police à Saint-Pierre sont éparses dans des arrêtés différents rendus à des époques éloignées et pour la plupart inconnus ou inexécutés ; considérant qu’il importe au bien être de la population que cette matière soit réglée par un seul arrêté qui, en rappelant les anciennes prescriptions, comprendra en même temps des dispositions nouvelles dont l’absence est regrettable.. », le Commandant Gervais arrête dans la section VIII, que tout chien devra être porteur d’un collier indicatif du nom de son propriétaire. L’animal devra en outre être enfermé « à l’heure de la retraite ». Un chien errant sans signe distinctif pouvant être abattu sans préjudice des peines énoncées. Les bestiaux doivent également être porteurs d’une marque indicative de leurs propriétaires. On doit veiller à ce qu’ils ne commettent aucun dégât sur les graves ou dans les jardins.

Jusqu’en 1859, cet arrêté est cependant la plupart du temps sans exécution étant donné qu’aucune fourrière n’existe dans la colonie et qu’aucune disposition n’a été prise concernant son établissement. C’est donc sous le commandement du Comte de la Roncière que l’on y remédie par l’arrêté du 6 juin 1859.

Les animaux divaguant dans les rues, les places publiques ou les propriétés particulières sont saisis et conduits à la fourrière. Il est toutefois permis de laisser circuler sur la voie publique de 5 heures à 7 heures du matin et de 5 heures à 7 heures du soir, « les animaux qui vont paître dans l’intérieur de l’île ou qui en reviennent ». Aussitôt l’entrée en fourrière de l’animal saisi, un avis est affiché à la porte de la fourrière et à celle de la gendarmerie pour faire connaître son signalement. Si le propriétaire est connu, il est invité à le retirer sans délai. Après un délai de trois jours, si l’animal n’est pas réclamé ou si le propriétaire refuse d’acquitter les frais de toute nature qu’il aura occasionnés, l’animal est vendu comme « épave » aux enchères publiques par les soins de la police. La vente est publiée 24 heures à l’avance, le produit de la vente étant affecté aux « frais de conduite, de fourrière, d’affiche et de vente auxquels l’épave aura donné lieu », aux dommages et intérêts qui peuvent être réclamés par les parties lésées.

Le Commandant des îles charge le Maréchal des logis Surget faisant fonctions de commissaire de police de rechercher « une maison convenable » pour y établir la fourrière. Ce dernier fait savoir dans un courrier daté du 19 mai 1859, qu’il en a trouvé une, située à l’angle des rues Jacques Cartier et du Barachois (actuellement angle des rues Jacques Cartier et Maréchal Foch). Cet établissement serait tenu par François Delangle.

Le service est donc confié à ce particulier qui demande et obtient le 2 novembre de la même annee, deux parcelles de terrain à l’Ouest de la route de Gueydon. Cela laisse supposer que le service est suffisamment important pour que des nuisances obligent le propriétaire à choisir un emplacement hors d’un quartier commercial.

A noter toutefois que les manoeuvres de l’Atelier des Ponts et Chaussées (ancêtre de la Direction de l’Equipement) doivent prêter assistance à la police pour la saisie des animaux à conduire à la fourrière.

Le 11 janvier 1860, un autre arrêté est pris afin de compléter celui du 6 juin 1859 traitant des soins et de la nourriture à donner aux pensionnaires de la fourrière. Ces derniers ont droit à trois repas quotidiens. Ils peuvent prendre l’air au cours d’une promenade quotidienne dans l’enclos de l’établissement et le gérant doit changer la litière de ses prisonniers quand le besoin s’en fait sentir (dans tous les sens du terme).

Tout laisse supposer que les dégâts commis par nos vagabonds à quatre pattes sont essentiellement matériels (sauf en juillet 1873 et en mai 1874, date auxquelles plusieurs personnes sont mordues et dont les blessures « présentent un certain caractère de gravité »).

En 1898, la Feuille Officielle des îles Saint-Pierre et Miquelon relate avec humour l’attaque d’une bergerie par des chiens dont voici l’extrait du 19 février :

Les Terre-Neuve ont faim. Quand les Terre-Neuve ont faim, il faut bien garder ses moutons. Dans la nuit du 15 février, des chiens se sont acharnés sur la porte de l’étable appartenant à M. Lefèvre, boucher, ont soulevé la targette en bois, et, introduits dans la bergerie, ont fait sortir sept moutons qu’ils ont poussés devant eux. Trois moutons ont été égorgés et leur chair partagée en lambeaux. Trois autres portaient des marques de crocs formidables. Le septième mouton a disparu. Peut-être a-t-il été emmené en otage ?

En 1901, le Maire Marie Lefèvre, motivé par les plaintes du public, prend un nouvel arrêté concernant la divagation des taureaux dans l’île de St-Pierre.

Puis, le 25 juillet 1910, on placarde une affiche rappelant les divers arrêtés en vigueur concernant les chiens et animaux divaguant dans les rues.

Suite à une plainte concernant l’agression d’une fillette par un berger allemand dit « chien-loup », le conseil municipal décide de prendre des mesures et arrête le 5 juin 1929 que ce genre de chien devra être muselé et tenu en laisse sinon il sera considéré « sans maître » (un arrêté du gouverneur avait interdit l’importation de ces chiens).

En 1930, la Municipalité lance un appel d’offres pour la construction d’un immeuble pour « fourrière, remise et forge » sur le terrain de l’ancien lavoir public face à la place de la Liberté (place du Zaspiak-Bat). L’immeuble est construit à l’emplacement actuel des garages de la société R.F.O. puis un incendie déplace temporairement la fourrière dans les anciens garages municipaux (situés face à l’actuelle pharmacie privée à l’emplacement du Collège St-Christophe) et elle est réaménagée sur le site incendié (toujours sous les garages municipaux).

Elle est ainsi aménagée :
– 4 parcs à chèvres pour environ deux bêtes par parc ;
– 6 stalles pour chevaux ou vaches ;
– 4 parcs pour abriter huit chiens.

A l’heure de la retraite, soit de 9 heures du soir à 7 heures du matin, les deux agents de police font des rondes et procèdent à l’arrestation des animaux divaguant, puis le lendemain ils affichent à la porte de la Mairie le signalement de leurs prisonniers. Quelques fois, nous dit Monsieur André Gilbert (qui travailla à la fourrière de 1948 à 1976) les agents prennent contact directement avec des chasseurs invétérés qui reconnaissent les chiens arrêtés et leur permettent de prévenir les propriétaires. Ce n’est pas de gaieté de coeur qu’ils doivent abattre les chiens non réclamés (plus de 500 nous dit-il, pendant sa carrière). Ainsi, quand le délai légal de garde est expiré, c’est avec plaisir qu’ils voient des particuliers acquitter les frais de fourrière et les animaux ainsi libérés trouvent un nouveau propriétaire.

En dehors de ce service, les agents de police municipale doivent aussi procéder au « ramassage » des nombreux marins espagnols qui fréquentent le port et sont pris de boisson sur la voie publique.

Les agents doivent effectuer leur service à pied et sont souvent abreuvés d’insultes quand ils ramènent en laisse les animaux capturés.

A titre d’anecdote, au cours d’une ronde nocturne, les agents ont pu arrêter 6 chiens, 4 vaches, 3 chèvres et 2 chevaux qui troublaient la tranquillité publique. A noter que les gendarmes doivent également assurer le service de la fourrière en même temps que les agents municipaux.

Sous le gouvernement de M. Sicaud, administrateur de la colonie de 1955 à 1958, un arrêté est pris concernant la divagation des animaux et, nous raconte encore M. Gilbert, c’est une véritable hécatombe, car bon nombre des chiens capturés (à cette époque principalement des chiens perdrix et des terre-neuve) ne sont pas réclamés par les propriétaires. La cause principale de cet arrêté semble résulter du fait que l’épouse de notre administrateur ne pouvait mettre un pied dehors avec sa petite chienne Daisy sans être poursuivie par une horde de chiens en quête de compagnie galante.

Puis, soumis à un horaire plus régulier, les agents observent la recrudescence des animaux mis en liberté en dehors de leur service. Ainsi, une soirée M. Gilbert et son collègue décident une action « commando » avec un véhicule automobile et arrêtent « 30 ou 35 chiens » et remplissent la fourrière : tollé général.

La population canine augmente de façon extraordinaire avec l’application à Saint-Pierre et Miquelon des textes sur les congés payés. Les saint-pierrais pouvant dorénavant avoir plus de loisirs, on imagine bien que bon nombre d’entre eux ont choisi la chasse.

Vers 1960 les avis d’arrestation sont transmis par voie radiodiffusée.

En janvier 1962, le maire prend un nouvel arrêté interdisant la divagation des animaux dans le périmètre urbain qui sera complété par un arrêté du gouverneur qui interdit la divagation sur toute l’étendue de l’île « y compris le terrain d’aviation et les voies publiques ». En outre, il indique que les chiens en action de chasse en période de fermeture pourront être abattus si leur capture se révèle impossible.

En 1971, un avis municipal porte le délai de garde à huit jours pour les chiens arrêtés porteurs de collier avec le nom de leur propriétaire.

Le dernier communiqué en date (5 novembre 1990) concerne la divagation des chevaux et rappelle les dispositions en vigueur.

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