04/05/1955 : Isabel H

Durant cette période de 1920 à 1935, ce fut ce qu’on appelle encore à Saint-Pierre le « Temps de la Fraude » ou pour d’autres « la période de la prohibition ». C’est peu avant la fin de cette période que le Président Franklin De1anoé Roosevelt fut élu Président des Etats-Unis. Sa campagne porta en particulier sur la promesse de faire abroger la loi Volstead qui permettrait de mettre fin à ce qu’on nommait à l’époque en Amérique la « période sèche ».

Les îles Saint-Pierre et Miquelon étaient réputées pour être des grands centres d’entrepôt de millions de caisses de whisky, de liqueurs et autres boissons alcooliques. De grosses fortunes furent réalisées par des hommes qui réussirent à introduire aux U.S.A. et au Canada des quantités très importantes de ces boissons, malgré l’intervention de la Police Fédérale canadienne et des garde-côtes américains, qui étaient chargés d’interdire l’entrée de ces boissons mais qui n’avaient pas le droit d’intervenir au delà des limites internationales, c’est-à-dire trois milles marins.

Généralement ces opérations frauduleuses s’effectuaient par des gros navires chargés de boissons qui se tenaient en dehors des eaux territoriales. Des petites vedettes équipées de moteurs puissants, certaines avaient même des moteurs d’avion qui leur permettaient d’atteindre des vitesses de l’ordre de 30 a 35 noeuds, transbordaient la boisson le long de ces gros bateaux et pénétraient à l’intérieur des eaux américaines où ils livraient cette boisson à des endroits de la côte moins bien surveillés, ou même des lieux dit-on où la « douane américaine fermait les yeux ». Cependant sur la côte américaine, les méthodes d’interception se développaient et les fraudeurs avaient de plus en plus de difficultés pour livrer leurs chargements. Ces méthodes de détection se développant rapidement obligèrent les contrebandiers à recourir à de nouvelles méthodes. Parmi celles-ci en voici une assez originale. Renonçant à mettre les boissons à bord des bateaux habituels, les fraudeurs utilisèrent d’innocents bateaux de pêche qui ne pouvaient être suspectés par les douaniers et les capitaines des « cutters » américains. Amis lecteurs, rappelez-vous le cas de la goélette « Nathaly J Nelson » qui pêchait du « poisson » en bouteilles.

La vedette « Isabel H » était un bateau qualifié pour ces opérations camouflage et il fut basé longtemps à Saint-Pierre, à l’exception de l’annee 1936 où elle fut acquise par une société de liqueurs du Cap-Breton. Cette société s’était constituée dans un but bien précis. Elle voulait briser le monopole exclusif que détenaient les principaux trafiquants établis en Nouvelle Ecosse. Ils envoyèrent un de leurs capitaines, un Français, le capitaine Ducos, en 1936 à Demerara, un port des Antilles anglaises de la Mer des Caraïbes, pour y acheter une cargaison de rhum. Le subrécargue, M. Louis Goldman, négocia avec les marchands de rhum des Antilles, mais ceux-ci se montrèrent intraitables et ne voulurent à aucun prix briser le contrat qu’ils avaient avec les importateurs de la Nouvelle Ecosse. Il faut préciser que ce contrat avait un caractère exclusif.

Néanmoins, Goldman réussit à acheter un chargement de rhum, mais de qualité nettement inférieure, et il revint sur la côte du Cap Breton pour vendre sa cargaison. Plusieurs acheteurs vinrent à bord, mais avant d’effectuer un achat massif, exigèrent qu’un échantillon de ce nouveau rhum leur soit fourni. Plusieurs tentatives de vente de ce genre furent effectuées, mais les clients, en définitive, se refusaient à procéder à l’achat à cause de la qualité inférieure du produit. Finalement, toute la cargaison de l’Isabel H fut débarquée et entreposée dans de grands réservoirs en cuivre, dans la région de Sydney.

A la fin de cette prohibition, les navires qui effectuaient ce trafic reprirent leurs activités coutumières d’autres furent vendus. Ce fut le cas pour « Isabel H » qui fut vendue à une société commerciale de la Nouvelle Ecosse.

Le 4 mai 1955, naviguant par brume épaisse, le petit navire s’échoua sur l’île de Langlade. Le petit bateau laissa ses os sur ces rochers meurtriers de cette côte occidentale des îles Saint-Pierre et Miquelon où il avait trouvé refuge de nombreuses fois à l’âge d’or de la prohibition.

(Renseignements fournis par le Dr Robinson de 1’î1e du Prince Edouard.)

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