30/12/1912 : Mary-Smith

A 10 h 30 du matin, relate le gendarme Jean Marie Fardel en service à Langlade, Monsieur Gregorio Larranaga, fermier à Langlade me fit la déclaration suivante:

« Je viens d’apercevoir un navire éhoué sur la cote ouest de Langlade au lieu dit la Crevasse. Ce navire est une goélette à hunier et elle doit être chargée de légumes car il y a une très grande quantité de choux sur le sable. Deux doris ont été mis en pièces par la mer. Je n ai pas vu trace de vie à bord ni autour du navire. »

Le remorqueur « Saint-Pierre » étant ce jour-là à Langlade, nous sommes immédiatement partis sur les lieux du naufrage. En arrivant près du bateau, nous avons appris qu’il y avait un survivant qui se trouvait dans une ferme voisine. Ce navire était le « Mary-Smith » et son équipage se composait de six hommes.

La goélette était montée très haut sur la dune et ensablée assez considérablement avec une gîte énorme sur tribord. On pouvait observer un homme mort dans les haubans. A ce moment il nous était impossible de monter à bord. Nous avons appris de M. Jean-Marie Olivier, qu’il avait trouvé un corps sur le rivage à environ 300 mètres de la goélette. Nous avons placé ce corps dans la petite chapelle et nous avons organisé un service de gardiennage du navire.

Nous avons su que trois survivants avaient réussi à gagner le bourg de Miquelon. Nous nous sommes mis en route pour cette localité où nous avons rencontré les trois rescapés au domicile du maire, M. Dominique Borotra.

Le capitaine J. Lewis nous a dit que son navire avait une jauge de 95 tonnes et qu’il appartenait à M. Georges Smith de Harbour Breton, Terre-Neuve. Il avait quitté Halifax dimanche matin pour Saint-Pierre, avec un chargement de charbon et de légumes. Le lendemain, lundi, il avait eu beau temps mais le mardi il avait subi une forte tempête.

« Cette nuit-là, j’ai aperçu une lumière, mais à cause de l’état de la mer je l’ai prise pour le feu du Cap Blanc de Miquelon. Pensant que j’avais été drossé au nord de ma route, j’ai continué dans cette direction dans l’intention de contourner le Cap de Miquelon, puis d’entrer dans la Baie et de continuer ma route en direction de Saint-Pierre. Peu de temps après, j’ai de nouveau vu un autre feu que j’ai pris pour celui du chenal. J’ai changé de route pour pouvoir entrer dans la Baie et m’y abriter. Quelques instants plus tard nous étions echoués. Immédiatement le pont fut recouvert par les vagues. Devant ce danger, je suis monté avec mes hommes dans les haubans pour attendre l’aube. Nous nous sommes échoués à 8 heures du soir et constamment pendant toute la nuit j’ai parlé aux hommes pour qu’ils ne succombent pas la fatigue et au sommeil. A environ 5 heures du matin, un des hommes ne répondit plus quand je lui parlais. Vers 7 heures les quatre autres hommes et moi-même avons quitté le navire. Nous avons sauté dans l’eau glacée. Ne connaissant pas la région, nous nous sommes dirigés vers la lumière du feu du Cap Blanc de Miquelon. Deux de mes hommes étaient complètement exténués et j’ai dû les abandonner sur le rivage. Nous sommes arrivés à Miquelon aux environs de midi. Plus tard j’ai appris qu’un des deux hommes que nous avions laissés derrière nous était mort sur la grève et que l’autre avait eu la chance d’être recueilli dans une ferme. »

L’homme mort sur la grève se nommait Thomas Sanders, il était âgé de 35 ans et celui qui est mort pendant la nuit à bord du navire se nommait Vincent Cox et était âgé de 23 ans.

14/12/1908 : Amiral Aube

Le 28 novembre 1908, le croiseur français « Amiral Aube » jeta l’ancre dans la rade de Saint-Pierre. Le croiseur avait à son bord Monsieur Didelot Administrateur des Colonies. Faisant suite à la loi Combres, relative à la laïcisation et à la liberté de l’Enseignement, plusieurs manifestations s ‘organisèrent à Saint-Pierre où la foule défila dans les rues. Le gouverneur de la colonie exagérant le péril, crut bon de demander au Département l’envoi d’un bateau de guerre pour rétablir l’ordre et assurer sa sécurité. Quand le commandant du croiseur, son état-major et le nouvel administrateur débarquèrent, ils s’aperçurent immédiatement que la présence du croiseur à cette époque sur la rade ne se justifiait pas.

Néanmoins chaque après-midi, avant la chute du jour, une grosse chaloupe à vapeur quittait le croiseur, emportant à son bord une patrouille de marins qui assurait le service d’ordre pendant la nuit et regagnait le croiseur dans la matinée du lendemain.

Le 14 décembre, une chaloupe à vapeur dans laquelle avaient pris place sept hommes quitta le croiseur vers 17 heures. Le vent ce jour-là, soufflait très fort du Sud-Ouest et il était accompagné de très fortes bourrasques de neige, que les Saint-Pierrais nomment « poudrin ». Cette chaloupe n’arriva pas à sa destination, le barachois de Saint-Pierre. Des les premières heures de la matinée du lendemain, les secours et les recherches s’organisèrent tant du croiseur que parmi les habitants dont un grand nombre possédait des embarcations. Toutes ces recherches s’avérèrent vaines et pour cette chaloupe on employa la terminologie hélas trop souvent répétée « perdue corps et biens ».

Le Commandant du croiseur promit une prime importante à celui qui trouverait la chaloupe. Les recherches furent reprises par quelques embarcations. Un pêcheur de l’Ile aux Chiens, Louis Arondel, eut l’idée d’adapter un verre de compas (boussole) sur un tuyau de tôle d’environ 1,50 m de longueur. Avec cette sorte de loupe qui lui permettait, même avec une petite brise de faire des recherches, il se mit de nouveau en campagne. Dés le premier jour, en inspectant le fond entre le croiseur et l’Ile Massacre, il vit la chaloupe à environ 500 mètres de cette île, qui reposait sur le fond. Une bouée de liège, préparée à cet effet, fut jetée à l’eau au-dessus de l’épave, et le pêcheur alla immédiatement prévenir le commandant du croiseur.

Le commandant du navire de guerre donna immédiatement des ordres pour que la chaloupe soit récupérée dans les plus brefs délais. Le lendemain le temps étant favorable, une équipe dotée des apparaux de levage du croiseur releva la chaloupe. Celle-ci était intacte, mais hélas les sept occupants manquaient à l’appel et leurs corps ne furent jamais retrouvés. On décerna au pêcheur de l’Ile aux Chiens, la prime convenue ainsi qu’un témoignage de satisfaction. Le haut fonctionnaire qui avait demandé la venue du croiseur fut rappelé en France. Néanmoins cette décision disciplinaire ne pouvait rendre la vie aux sept marins disparus de façon aussi stupide.

21/07/1906 : Era

L’Era était un navire américain chargé de marchandises diverses: phonographes, fusils et un grand nombre d’articles varies. Ce bateau fut jeté à la cote par une nuit d’encre. La nuit était telle que le capitaine donna ordre à ses hommes de mettre le feu dans des matelas pour leur permettre d’aborder la terre avec un peu plus de sécurité.

Le capitaine ordonna à son équipage de se munir de fusils car il avait peur d’être attaqué par les sauvages, à cause de leur destination qui était la Baie d’Hudson. La cargaison du navire devait être échangée avec les Indiens et les Esquimaux pour des fourrures devant être ensuite acheminées sur le marché de New-York.

Les flammes alimentées par les matelas attirèrent l’attention d’un gardien de phare, Monsieur Dodeman. Celui-ci accourut très vite sur les lieux et fut aimablement accueilli par les matelots armés jusqu’aux dents. Le gardien du phare leur expliqua en anglais qu’ils avaient fait naufrage non loin de la Pointe Plate aux îles Saint-Pierre et Miquelon. Mais ils refusèrent de le croire et continuèrent à braquer leurs fusils sur le pauvre gardien très peu rassuré, jusqu’au moment où ils se trouvèrent au pied de la tourelle du phare. Les naufrages furent réconfortés et hébergés chez les gardiens.

Une grande partie du chargement fut sauvée. En reconnaissance de l’hospitalité généreuse du gardien Dodeman, le capitaine de « l’Era » lui fit cadeau d’un phonographe et d’un fusil. 60 ans après, ces deux articles sont pieusement conservés chez les descendants de ce gardien de phare génereux, pour qui ces objets représentent plus que de simples reliques arrachées à la mer par leur aïeul dans la cale de « l’Era » au cours d’une nuit de tempête, au début du siècle.

02/08/1905 : Flora

Léon Laignel était un gendarme en service à Langlade. Il relata qu’un fermier du nom de Jean-Marie Olivier, agé de 43 ans, était venu le voir et lui avait déclaré le 2 août 1905, à 6 heures du matin, qu’il y avait un navire échoué sur la côte est de la dune de Langlade.

Laignel et Olivier se sont rendus ensemble sur la dune et ont vu un trois-mâts peint en blanc échoué sur le sable au lieu dit « Pointe du Guindeau ». Les deux ancres de bâbord et tribord étaient en position de mouillage et la voilure et le gréement ne paraissaient avoir subi aucun dommage. A ce moment l’état de la mer ne permettait pas une communication entre la terre et le navire.

Le lendemain matin à 11 heures le vent avait tourné à l’ouest et l’état de la mer était très bon. Le capitaine fit mettre une baleinière à la mer, le long du bord et quelques minutes après il vint à terre. Un commerçant de Saint-Pierre nommé Charles Landry, était présent, et ce fut lui qui servit d’interprète.

Le capitaine John Tizard commandait le bateau échoué, le « Flora », un très beau trois-mâts de 289 tonnes immatriculé à Saint-Jean de Terre-Neuve. Il était parti de Saint-Jean pour Baleina (Terre-Neuve) avec un chargement de fûts vides pour y prendre de l’huile de baleine. Dans la journée du 1er août il avait eu du mauvais temps près des îles Brunett. Le vent avait augmenté et l’avait drossé sur la côte de Langlade. Il manœuvra toute la soirée le long cette côte qu’il s’efforçait de ne pas approcher de trop près. Mais le vent augmentant d’intensité, la brume épaisse et la nuit noire le rejetèrent sur cette côte, où il s’échoua sur un banc de sable à 1 h 30 dans la nuit du 2 août. Le capitaine Tizard dit que son bateau était assuré pour une somme de 1,500 livres anglaises à la Royal Insurance Company de Liverpool.

Le « Flora » avait un équipage de 9 hommes et un passager. Le capitaine avait également avec lui à bord sa femme, sa fille et sa petite-fille. Le capitaine déclara qu’il enverrait son maître d’équipage à Saint-Pierre pour adresser un télégramme à l’agent d’assurance et qu’en attendant il resterait à bord de son navire.

Le gendarme indiqua que la veille à 5 h 30 il avait observé le « Flora » se dirigeant sur Miquelon. La position du navire se situait sur une ligne partant du Cap aux Morts au Cap Vert. Le gendarme précisa que le bateau faisait route avec une grande partie de sa voilure. Il précisa l’avoir vu virer de bord avant d’arriver au Cap Vert et qu’il mit ensuite le cap sur la dune en se rapprochant. Il observa le « Flora » jusqu’à 9 h 30 du soir jusqu’au moment où la nuit tomba et lui fit perdre sa trace. Messieurs Olivier et Paturel qui tous deux avaient observé longtemps les mouvements du navire, ont déclaré qu’ils avaient la conviction qu’il cherchait un endroit favorable pour s’échouer sur la dune.

M. Olivier affirme qu’il était très facile au capitaine du bateau de prendre le large. Pourquoi ne l’a-t-il pas fait ? De plus, il trouve surprenant que le bateau se soit brisé si vite alors qu’il était simplement échoué sur un banc de sable. De plus le bateau, qui avait un très léger lest constitué par des barils vides, du fait qu’il était léger, aurait du monter beaucoup plus haut sur la dune. D’autres personnes présentes sur les lieux, déclaraient qu’une brise de cette sorte ne met pas un bateau en danger. Pour donner plus de force à leur argumentation, ils affirmaient qu’une petite goélette mouillée dans l’anse de Langlade, avait été observée des baraques de gendarmerie. A 4 h 30 du matin, cette goélette avait appareillé toutes voiles dehors en direction de Terre-Neuve. Le « Flora » s’était échoué avec des vents d’est-sud-est. Au matin, le jour de l’échouage des gens de terre remarquèrent que sur le pont du trois-mâts se trouvaient trois hommes apparemment indifférents, qui ne faisaient aucun signe dans le but de manifester leur présence, et qui par la même occasion prouvaient qu’ils ne tenaient pas à entrer en communication avec la terre.

Est-ce que le « Flora » fut échoué délibérément et volontairement ? Personne n’a jamais pu répondre à cette question. Tout ce que l’on sait, c’est qu’il y avait une forte assurance. Un mystère de plus a ajouter à ceux que renferme cette dune de Langlade, véritable nécropole de navires.

04/09/1903 : Charles Ball

« Un bienfait n’est jamais perdu » dit un vieux proverbe français. Eh bien, ce n’est pas toujours vrai. Le naufrage du « Charles Ball » le prouve de façon indiscutable. L’équipage du navire « Blanche M. Rose » fut victime de l’ingratitude manifestée à son égard par le capitaine norvégien Bie et l’équipage du navire « Charles Ball », un trois-mâts norvégien vieux de 33 ans, jaugeant 708 tonnes, immatriculé dans le port de Grimstad, Norvège.

Le capitaine Bie et son équipage de 12 hommes avaient quitté le port de Miramichi, New Brunswick, avec un chargement complet de bois qu’il transportait a Belfast en Irlande.

Sur le Banc de Saint-Pierre, le « Charles Ball » se trouva en vue d’une goélette de Terre-Neuve, le « Blanche M. Rose ». Tous les doris étaient en pêche et ils revenaient tous les jours avec de magnifiques captures. Le capitaine James Woonday, de Harbour Breton (Terre Neuve) relata que le capitaine norvégien lui avait signalé par pavillon que le « Charles Ball » ayant une forte voie d’eau était prés de couler et que l’équipage demandait à être transporté à bord du navire terre-neuvien. Le capitaine Woonday déclara en plus: « M’adressant au capitaine norvégien, je lui dis qu’étant obligé d’abandonner les lieux de pêche pendant plusieurs jours, l’équipage allait subir un préjudice. Il me répondit : « Vous pouvez être assuré que vous ne perdrez rien et la perte subie sera remboursée intégralement par mes armateurs ». Je fis rallier le bord à tous mes doris à 7 heures du soir le 4 septembre. Je pris à mon bord le capitaine Bie et son équipage et je levai mon ancre, puis partis pour Saint-Pierre.

Nous sommes arrivés à Saint-Pierre le 7 et l’équipage norvégien fut mis à terre. Je demandai au capitaine norvégien des précisions sur la façon dont je serais payé. Il me répondit que cela s’effectuerait par le gouvernement norvégien. C’est alors que je lui ai demandé de me signer, devant les autorités officielles, une attestation prouvant de façon claire que je l’avais tiré d’un mauvais pas. Il refusa net de signer cette attestation. Il poussa même l’incorrection en dédaignant de me remercier de ce que j’avais fait pour lui et ses hommes, c’est-à-dire de leur avoir sauvé la vie.

14/07/1903 : Monterey

Le S.S. « Monterey » appartenait à une filiale de la Canadian Pacific nommée « Atlantic Steamship Lines », en route de Montréal pour Liverpool. Au phare de la Pointe Plate, a l’extrémité ouest de l’île de Langlade, on éteignait le phare à quatre heures du matin, pendant la saison d’été, telles que le prescrivaient les instructions données aux responsables de la lanterne. Ce jour-là le temps était clair et le gardien de service au phare était occupé à nettoyer tout le matériel éclairant de la lanterne.

A 4 h 30 le gardien chef observa au large des bancs de brume et aussitôt il notifia à son assistant d’allumer la chaudière qui permettait d’avoir la valeur requise pour le bon fonctionnement de la sirène d’alarme.

Vers 4 h 55 la terre était toujours visible dans un rayon assez grand autour du phare. La sirène d’un steamer fut entendue au large aux environs du 3150 (nord-ouest). Cinq minutes plus tard, on fit partir un coup de canon pour signaler la présence de la terre. Le canon était employé quand la sirène n’était pas en opération, ou au moment où la vapeur n’était pas encore assez forte pour pouvoir faire démarrer la sirène.

Le vapeur s’échoua à 5 h 15. Le vent soufflait légèrement du sud-ouest et la mer était très plate. Cinq minutes plus tard, la pression était suffisante et permettait de lancer le premier coup de la sirène de brume. A 6 heures le temps était encore clair, mais une heure et demie après, la brume entoura tout le secteur et dura jusqu’à onze heures du matin.

Le « Monterey » sous le commandement du capitaine Williams, s’échoua à la Pointe aux Goélands, à environ 700 mètres au sud du phare. Sa vitesse au moment de l’échouage était de l’ordre de 12 nœuds. Tout fut mis en œuvre pour essayer de retirer le vapeur de sa fâcheuse position, mais tous les efforts furent vains. Le bateau à ce moment était a environ 80 mètres du rivage. Cet échouage fut enregistré sur le livre de service que tenait ouvert le gardien chef du phare de Pointe Plate. Deux jours après l’échouage, le représentant de l’armateur et le pilote, Pierre Gervain, de Saint-Pierre, rendirent visite au capitaine du « Monterey » et apprirent que le steamer avait navigué dans la brume depuis son départ de Montréal. Dans son rapport de traversée et d’échouage, le capitaine du « Monterey » relate qu’il n’avait pas eu connaissance du Cap Ray à cause de la brume qui était très épaisse. Il pensait que sa route le ferait passer au moins entre 12 et 15 milles de Pointe Plate. Le capitaine Williams ignorait que la violence du courant fut aussi grande sur la route où il naviguait. Voici un extrait de la déclaration qu’il fit aux autorités maritimes de Saint-Pierre:

« Je suis navré et j’ai une grande amertume d’avoir perdu mon navire le steamer anglais « Monterey » de Liverpool, de 3489 tonnes de jauge nette. Ce jour-là 14 juillet, j’effectuais ma navigation avec beaucoup de soins et d’attention car il y avait de la brume, à la poursuite de mon voyage sur l’Angleterre. J’affirme qu’au moment de l’échouage aucun signal sonore n’a été entendu nous donnant des renseignements sur la présence de la terre. Le premier signal venu de la Pointe Plate fut un coup de canon dix minutes après l’échouage de mon navire. Le canon continua a être entendu mais ce fut deux heures après l’échouage que nous avons entendu le premier signal donné par la sirène de brume.

Le second officier, M. James A. Howard, a recueilli à terre des renseignements qu’il a relatés dans un rapport écrit. Il me plairait que ce rapport soit enregistré d’une façon officielle. Le second officier Howard s’était rendu le 15 juillet vers 8 heures du soir dans une des maisons du gardien. Il affirme que l’épouse du gardien chef lui aurait dit: « C’est vraiment une pitié de voir un si beau bâtiment sur les cailloux ». Il répondit à la dame: « Si un signal de la terre eut été émis, nous n’aurions pas perdu notre bateau ». Il lui demanda si son mari était de service au moment de l’échouage. Elle répondit: « Non, mon mari avait terminé son service à minuit, et il devait le reprendre à 6 heures du matin. » Elle ajouta: « Mon mari s’est levé à 5 heures et il a regardé par la fenêtre. Immédiatement il s’est écrié : « Mon Dieu, quelle brume ! … Mon Dieu, un vapeur échoué, et la sirène et le canon qui ne fonctionnent pas… ». J’ai demandé à mon mari: « Qui est de service? ». Il m’a répondu: « C’est le deuxième mécanicien, mais il s’est endormi. »

Le « Monterey » avait une cargaison de marchandises diverses, en particulier des grains, du beurre, des fromages et 1090 têtes de bétail. L’équipage et des gardiens spécialisés, au total 110 hommes, s’occupaient de ce troupeau pendant ce voyage. Que pouvait-on faire avec tout ce cheptel ? La terre de Pointe Plate n’offrait aucune possibilité permettant de nourrir un tel nombre d’animaux. Deux petits steamers, « l’Argyle » et le « Grand Lake », accostèrent le « Monterey » et prirent à leur bord tous les animaux que leur capacité de cale et de pont permettait de transporter. Le reste du troupeau fut mis a terre en le jetant par-dessus le bord !

Cet ordre fut donné par les agents d’assurance, car il y avait du mauvais temps qui arrivait. Une faible partie des bœufs débarqués grimpèrent sur les collines avoisinantes, mais la plupart resta prés du phare. N’ayant pas de nourriture depuis plusieurs jours et fascinés la nuit par la lumière aveuglante du phare, les bœufs chargeaient constamment et mirent en pièces toutes les clôtures autour des bâtiments ainsi que les palissades qui entouraient les jardins des gardiens. Ils occasionnèrent un dégât considérable aux installations. Les gardiens et leur famille étaient prisonniers dans leurs maisons, car ils ne pouvaient sortir à cause de la furie de ces bêtes qui les poursuivaient. Le gouvernement des îles Saint-Pierre et Miquelon demanda que les bêtes soient abattues le plus rapidement possible, et que tous les dégâts occasionnés par ces animaux sur les installations du phare et des gardiens soient remboursés par la compagnie d’assurance.

L’histoire du naufrage du « Monterey » laissa dans la mémoire des habitants de nos îles un indélébile souvenir. De nos jours les anciens le rappellent et le font connaître aux jeunes générations peu au courant de pareilles aventures maritimes.

24/12/1902 : Paulette

Dans la soirée du 24 décembre 1902, le trois-mâts français « Paulette » (ancienne « Sambre et Meuse ») était sur les atterrissages de l’île de Saint-Pierre sous le commandement du capitaine Louis Girardin dit « Casse-tête ». Ses amis lui avaient donné ce surnom parce que le capitaine Girardin était très dur sur la toile, c’était ce qu’on appelait a l’époque un « mangeur d’écoutes ». Sa méthode qui consistait par grand vent à tenir le plus de toile possible lui occasionnait quelquefois des déboires, en particulier des avaries dans ses mâts de hune, d’où le sobriquet de casse-tête ».

Cette soirée du 24 décembre, le vent soufflait fort du Sud-Est, avec des grains de neige. Soucieux qu’il était, ainsi que son équipage, d’être en famille pour la veillée et le réveillon de Noël, le capitaine Girardin avait l’intention de franchir la passe du Sud-Est, et pour le faire avait conserve une grande partie de sa voilure, ce qui donnait au navire une assez grande vitesse.

Peu avant minuit, au moment d’une éclaircie, le capitaine Girardin vit sur tribord un feu fixe blanc. Il prit ce feu pour celui du secteur blanc du phare de la Pointe Leconte (extrémité de l’île aux Chiens) or ce feu n’était pas celui de l’île aux Chiens. C’était tout simplement la lumière blanche du fanal du bedeau de l’Eglise de l’île aux Chiens, qui était au clocher s’apprêtant à sonner les cloches pour la messe de Minuit.

Un grain de neige s’abattit sur le navire empêchant toute visibilité. Quelques minutes après que le grain de neige enveloppe le navire, une forte secousse l’ébranla de la quille à la pomme des mâts. C’était l’échouage mais le capitaine ne pouvait déterminer l’endroit ou il avait fait côte, car la neige tombait toujours poussée par le vent qui augmentait d’intensité. Enfin voici l’éclaircie permettant de voir la terre. A moins de 100 mètres la « Paulette » se trouvait en face du cimetière de l’île aux Chiens.

L’équipage se mit a crier au secours et des personnes se rendant a l’église pour assister à la messe donnèrent l’alarme. Un grand nombre de personnes se trouvait dans l’église, parmi lesquelles le père de l’un des auteurs, se précipita curé en tête au secours des malheureux naufragés. Après de longues heures d’efforts, l’équipage de la « Paulette » fut entièrement sauvé et partagea le réveillon de la population de l’île.

Tous ces braves gens après ce naufrage pensèrent que cet acte courageux qu’ils venaient d’accomplir en faveur des naufragés, était le meilleur cadeau de Noël qu’ils puissent recevoir et qu’ils avaient connu de toute leur existence.

15/07/1902 : Alliance

L’histoire de ce bateau français est un exemple de baraterie et de pillage perpétré par son équipage. Ces faits assez fréquents à cette époque et dont les armateurs étaient toujours les victimes, restaient d’ailleurs souvent impunis. En voici le récit fait par Monsieur T. Flynn, de la Baie Mortier à Terre-Neuve.

Le capitaine Flynn, qui commandait le navire « Alexander J. Walsh », aperçut à très faible distance un navire dans la brume. Celui-ci s’approcha et bientôt le capitaine Flynn reconnut le bateau français « Alliance » qui appartenait à l’Armement Légasse et Cie de Saint-Pierre. A distance, le capitaine de l’Alliance héla celui du bateau anglais et l’informa que son bateau coulait et qu’il souhait être transporté à terre ainsi que son équipage. Le capitaine Flynn monta a bord de l’Alliance ou il constata que le bateau était partiellement envahi par l’eau. Le capitaine du bateau lui déclara que son navire avait eu, dix jours auparavant, une grave avarie à son gouvernail, qu’il prenait l’eau en quantité par l’arrière et qu’il ne pouvait plus être réparé. Le capitaine français offrit a Flynn de lui donner son poisson et tout son matériel de pêche, à condition qu’il le transporte ainsi que son équipage à terre dans un port de l’île de Terre-Neuve.

Après l’accord conclu entre les deux capitaines, l’équipage de l’Alliance ainsi que son capitaine furent débarqués dans un petit port de la Baie des Trépassés, sur la côte Sud de Terre-Neuve. Ensuite, l’équipage de « l’Alexander J. Walsh » sauva pour son propre compte près du Cap Fine, le matériel de pêche, qui consistait en plusieurs glénes de filin, lignes de fond, doris de pêche et autre petit matériel, ainsi que 70 quintaux de morue qui furent retirés de la cale du bateau français. Tout ceci était lié au sauvetage de 1’équipage français et de son transport sur la terre ferme.

Plusieurs bateaux se rassemblèrent dans la soirée autour du bateau français. Il fut constaté que la grand voile du navire avait été coupée. Le reste de la voilure était intact. Une inspection de la cale, envahie en partie par l’eau, révéla que plusieurs trous existaient dans la coque, ces trous ayant été faits à la hache. Ces voies d’eau furent colmatées tant bien que mal par des coussins de caoutchouc pour diminuer l’entrée de l’eau, mais le pauvre bateau était dans un piteux état. « L’Alexander J. Walsh » arriva dans la Baie Mortier le 16 juillet avec l’équipage et le capitaine de l’Alliance. Celui-ci partit pour Burin où il fit aux autorités un rapport officiel sur la perte de son navire.

L’Alliance fut remorqué à Rushooun par Cheesman’s. Le lendemain un steamer arriva à Rushooun avec un agent d’assurance français venant de Saint-Pierre. Il constata que dans la cale de l’Alliance trois ouvertures avaient été pratiquées volontairement et sa conclusion fut que l’équipage français avait tenté de détruire le navire. L’équipage de l’Alliance essaya de reporter sur l’équipage du bateau anglais cette grave accusation, mais cette affirmation n’eut aucun crédit tant a Terre-Neuve qu’à Saint-Pierre. L’agent d’assurance français donna a l’équipage du « Walsh » la moitié de ce qu’il avait sauvé, en dédommagement du temps perdu dans leur propre pêche. Puis il revint à Saint-Pierre avec l’équipage de l’Alliance où ils furent pendant tout la durée de l’enquête, les vedettes de cette histoire de sabotage d’un bateau français par son équipage.

13/09/1900 : Ali-Baba

L’Ali-Baba était une goélette Saint-Pierraise, qui portait le nom d’un héros bandit, d’un conte qui a bercé notre enfance. Elle était commandée par le capitaine Thomelin. Cette goélette était en pêche sur le Banc de Saint-Pierre le 13 septembre 1900 au moment où une des plus grandes tempêtes se déchaîna. Plusieurs jours d’anxieuse attente se passèrent et la goélette ne revint pas au port, ainsi que plusieurs bateaux en pêche dans ces parages. Les semaines succédèrent aux jours et l’Ali-Baba fut considéré perdu corps et biens.

En octobre, des pêcheurs aperçurent au large d’une petite anse de la côte ouest de Miquelon, une goélette chavirée. Ils s’en approchèrent et reconnurent l’Ali-Baba, flottant la quille en l’air au gré des courants. Plusieurs embarcations remorquèrent la goélette le plus prés possible de la côte. Un panneau fut découpé dans les bordages et le vaigrage, afin de permettre à un homme de pénétrer dans la cale, où pensait-on il y avait des cadavres. Cette idée se révéla exacte après qu’un Miquelonnais volontaire eut pénétré à l’intérieur du bateau. Il ramena 13 cadavres en décomposition avancée et un seul seulement put être identifié.

Le souvenir de ce drame maritime hanta très longtemps la mémoire des habitants des îles Saint-Pierre et Miquelon. Les mats de cette goélette servirent au début du siècle à consolider la base de l’église de Miquelon, et un morceau du beaupré permit de construire une maquette de goélette qui sort tous les ans de l’Eglise de Saint-Pierre au moment de la procession de la Fête des Marins.

Récit de Jean-Pierre Detcheverry :

Ce matin du 7 octobre 1900, Bénony Girardin et un autre Miquelonnais du nom de Haran aperçurent au large de la côte Ouest de Miquelon, à environ deux kilomètres du Cap-Blanc, une épave de navire dérivant la quille en l’air. Après avoir prévenu le Chargé du Service Administratif, Monsieur Paul Lamorlette, de ce fait, c’est à partir des cabanes de pêche de « l’Ouest », qu’une trentaine de pêcheurs se rendirent sur les lieux à bord de douze doris. Lorsqu’il arriva surplace, Monsieur Lamorlette fut informé par des pêcheurs qu’il devait s’agir de la goélette Ali-Baba présumée perdue sur les bancs de pêche lors d’une violente tempête, le 13 septembre 1900.

Le Ali-Baba était une goélette de soixante trois tonneaux qui avait été construite à Pubnico en NouvelleEcosse en 1884. Ce navire, exploité par un armateur local Monsieur Jacques Legasse, était armé par dix neuf hommes d’équipage et était commandée par le capitaine Joseph Chesnel. La pêche à la morue se pratiquait à partir de doris qui quittaient le bord dès le matin et le regagnaient après avoir remonté leurs lignes de fond. Un pêcheur de cette goélette avait déjà péri en août de la même annee, son doris ayant chaviré dans le mauvais temps.

Les embarcations présentes sur le lieu tentèrent de remorquer l’épave vers la « Grande Anse du Ouest », mais en vain. Il faut dire que la quille du navire mesurait quand même vingtdeux mètres et le courant très violent n’aidait en rien les sauveteurs dans leurs efforts. Vers vingt deux heures, ils abandonnèrent.

Quelle ne fut pas leur surprise en arrivant à « I’Ouest » le lendemain matin. L’épave avait disparu. Quelques instants plus tard, ils la virent dériver au loin. Tous les efforts de la veille n’avaient servi à rien. Dix huit sauveteurs tentèrent à nouveau de ramener l’épave au ‘plein’, en face des cabanes de pêche de « I’Ouest » à côté de la « Grande Anse » et de « l’Anse aux warys ». Le grand mât s’était cassé dans la nuit, lorsque l’épave passa au-dessus du « Fond Briand », un endroit bien connu des pêcheurs miquelonnais. Ce qui facilitait le travail des sauveteurs. Il fut ramené dès le matin par Théodule Gaspard. Leurs efforts furent cette fois récompensés, car en fin de journée, ils arrivèrent près des rochers sur lesquels la coque menaçait alors de se fracasser. Ils l’attachèrent du mieux qu’ils purent, mais les vents se faisant plus violents dans la nuit, les amarres vinrent à se rompre.

Entre-temps, par le bateau « La Liberté », arrivèrent à Miquelon, l’armateur Jacques Légasse et Monsieur Jourdan, représentant de la compagnie d’assurance. Après avoir constaté l’état du navire, Jacques Légasse déclara abandonner les débris de l’épave à la Marine, mettant dans l’embarras Monsieur Lamorlette. Que faire de cette épave ? Il décida sur le champ d’organiser une vente publique programmée pour le jour suivant au matin. Il envoya donc une personne faire du porte à porte, annonçant la vente pour le lendemain dix heures.

Le 9 octobre au matin, Bénony Girardin alla avertir le gendarme qu’il venait, lui et les hommes qui avaient remorqué l’épave, de trouver deux cadavres le long de la goélette Alti-Baba. Ce qui laissait présager qu’il pouvait y en avoir d’autres à l’intérieur de la coque. A dix heures précises, une cinquantaine de personnes se trouvaient réunies face à l’épave qui fut adjugée pour la somme de dix francs au principal sauveteur Bénony Girardin, personne n’ayant émis de surenchère. Il faut dire que le bateau se trouvait à une distance assez conséquente du rivage, et vu l’état de la mer, était dangereux d’accès, risquant de se briser à tout moment. Le mât de misaine fut adjugé au curé du village Monseigneur Oyenard pour la somme de cinq francs. La misaine fut vendue à Dominique Borotra au prix de soixante six francs après surenchères entre ce dernier et l’armateur Jacques Légasse. Le grand mât revint également au curé pour la somme de quinze francs. Cette énorme pièce de bois devait par la suite servir à soutenir le clocher de l’église de Miquelon.

Sitôt après la vente, il fallait inspecter l’intérieur de la coque, et c’est au propriétaire de l’épave que l’on eut encore recours. Bénony Girardin, pénétrant par un panneau découpé dans les bordages et le vaigrage, accomplit cette pénible épreuve. Il en sortit dix cadavres en état de décomposition, sans doute morts étouffés près d’un mois auparavant. Un seul put être identifié à cause d’un orteil coupé. Il ramena aussi le rôle d’équipage certifiant qu’il s’agissait bien de la goélette Alti-Baba.

Le lendemain jeudi 11 octobre, tous ces malheureux furent enterrés au cimetière de Miquelon, les douze cercueils ayant été confectionnés de toute hâte par un artisan local. La mer se faisant de plus en plus mauvaise, l’épave se brisa sur les rochers, et Monsieur Lamorlette écrivait à son supérieur: « Une violente tempête sévit, et aujourd’hui vendredi matin, Monsieur le Curé en sera pour ses frais; le mât de misaine est parti pour une destination inconnue. »

La mer prouva une fois encore qu’elle était la plus forte. Elle avait décidé de prendre dix neuf marins à leur famille et de ne rendre que douze corps sans vie.

13/09/1900 : Alerte, Francis-Eugène

Les dépressions équatoriales qui naissent dans la Mer des Caraïbes remontent le long de la côte américaine, passent le Cap Hatteras et souvent changent de direction en suivant les contours de la côte. Ces tempêtes très violentes dont certaines atteignent une vitesse de 100 milles, sont assez souvent chassées vers le Sud, c’est à dire en direction du Banquereau, Banc de Misaine et Banc de St. Pierre. Au début du siècle il n’existait aucune station météorologique donnant des avis de ces tempêtes. Il faut dire que même Si ces stations avaient existé, aucun bateau de pêche ne possédait les moyens de capter de tels avis. Un bateau qui se trouvait au centre d’une telle tempête avait très peu de chance d’en sortir, et on ne compte plus les bateaux et les centaines pour ne pas dire les milliers de marins qui en furent les victimes.

Le 13 septembre 1900, deux goélettes étaient à Saint-Pierre. L’une « l’Alerte » était mouillée au milieu du Barachois (intérieur du port), l’autre, le « Francis-Eugène » était mouillée en rade. La première chassant sur ses ancres s’échoua au fond du port. La seconde se brisa sur les rochers de l’île au Massacre à l’intérieur de la rade. Les deux équipages sortirent indemnes de ces naufrages.

Sur les « Bancs » il n’en fut pas de même, et le bilan fut très lourd. Neuf goélettes disparurent entraînant à la mort 120 marins. A Saint-Pierre cette tragédie maritime fit une centaine d’orphelins.