01/01/1997 : Les lumières de la ville

Les lumières de la ville.

Par Georges Poulet

Le Pionnier
1898-1948

On pourrait la commencer comme un conte de Noël. Il était une fois un pionnier…, l’ingénieur François Thélot, un Grandvillais industrieux, qui exploitait à Saint-Pierre, un important atelier de fonderie vers 1895. Il s’était mis dans la tête de doter cette petite ville de pêcheurs, d’une installation électrique, alors qu’en fait d’éclairage, on n’y connaissait que la lampe à pétrole (lampe à schiste) et quelques réverbères allumés le soir par un employé municipal.
L’électricité était alors dans ses balbutiements la dynamo datait de 1870, la lampe à incandescence de 1887 et le courant alternatif en était au stade du laboratoire. Les grandes villes s’éclairaient au gaz, grâce au fameux « bec Auer ».

La première Centrale
1898

L’idée de M. Thélot était donc ingénieuse, mais aussi téméraire. Il lui fallait surmonter bien des difficultés, emplacement, choix de la machine, transports, installation, mise en place d’un réseau, comptes d’exploitation, etc… Et s’il eut des appuis, il ne dut pas manquer de détracteurs, comme peut le laisser supposer le silence total des autorités de l’époque, non sur l’événement relaté dans la Feuille Officielle du 19 Février 1898, mais sur le nom de M. Thélot. Il n’y est question en effet que de deux Américains, MM. Mackay et Wing.
Quoi qu’il en soit, le 20 février 1898, était inaugurée la première usine électrique, dans ce qui est maintenant la rue des Basques. Le hangar existait encore récemment. L’énergie était fournie par une Machine à Vapeur, suivant la technique du temps n’oublions pas que le XIXème siècle a été celui de la Vapeur. Le courant était de 110 volts, assurant un éclairage entre 18 heures et minuit, avec des lampes à filament de carbone.
L’expérience fut une réussite, mais l’emplacement choisi se révéla inadapté, ce qui conduisit Monsieur Thélot à en chercher un autre. Avec ténacité et habileté, il parvint après maintes tractations auprès de plusieurs propriétaires, à constituer un lot d’un seul tenant en bordure de la Route du Cap à l’Aigle. Placé en contrebas d’un étang, cet endroit lui permettait de disposer à la fois d’une eau de refroidissement et d’une énergie hydraulique d’appoint.

La Centrale du Cap
1908

Dès la construction terminée, il y installa sa centrale munie cette fois, d’un moteur à gaz de 120 CV produisant 80 Kw. Il fit édifier un barrage sur l’étang, acheta une turbine et un alternateur supplémentaire. En 1912, il pouvait fonctionner avec la turbine en complément du moteur, réalisant à la fois des économies d’énergie et des économies de frais d’exploitation. Un tel agencement était cependant limité par la capacité de l’étang dont le volume d’eau ne permettait que quatre jours de fonctionnement à pleine puissance de la turbine. Quoi qu’il en soit « Thélot » était devenu à Saint-Pierre le « Monsieur Electrique », on disait à minuit : « Thélot s’éteint ».

Vingt ans plus tard, en 1928, on passe au moteur à injection, avec un Diesel 3 cylindres modèle Winthertur, de 140 Cv et fournissant 90 Kw. Monsieur Thélot s’étant retiré à Grandville, son fils Félix poursuivit l’exploitation privée, avec un remarquable sens de l’économie, jusqu’en 1948, les heures d’éclairage étant toujours assurées dans les mêmes conditions qu’au début. Quelques pannes ont été de longue durée, notamment celle de 1923 (du 11 février au 21 mars). Heureusement, il n’y avait alors ni appareils ménagers, ni fournaises à démarrage électrique.
Malgré ces rares interruptions de courant, on ne peut que noter la régularité de fonctionnement de la petite usine qui assura vaillamment son service à travers les vicissitudes de la vie saint-pierraise: la grande période des Terre-Neuvas, la guerre de 1914-1918, la fraude et ses corsaires, la grande crise et les annees noires, la guerre de 1940 et ses suites.

Le Service Public Local
1948-1977

C’est le 20 octobre 1948 que l’usine électrique et le réseau de distribution furent vendus par Monsieur Félix Thélot à l’administration de la Colonie, devenue Territoire d’Outre-Mer un 1946, représentée par Monsieur Jean Moisset, Gouverneur p.i. Le 14 janvier 1949, cet ensemble était organisé un Régie d’Exploitation dont le premier directeur tut Monsieur Jean Lalanne jusqu’en 1951. Le second fut Monsieur Henri Lebailly qui un assuma la charge durant près de dix ans, naviguant « au mieux » entre deux impératifs souvent contradictoires : la qualité et la sécurité du service et l’équilibre d’un budget trop strictement calculé, compte tenu des fréquentes dévaluations monétaires de l’époque.
Cette Régie transforma cependant la distribution de l’énergie électrique, réussissant, enfin, à l’assurer 24 heures sur 24 à partir du 29 décembre 1951. Une rénovation s’imposait, non seulement par suite du vieillissement du matériel et du réseau, mais aussi en raison de l’accroissement des besoins (notamment la création de la S.P.E.C.).
Remise un état de la distribution, construction d’un nouveau bâtiment, achat d’un groupe de trois moteurs Fairbanks (américains) portant la puissance installée à 850 Kw, tels furent les travaux principaux menés à bien par la Régie. Avec les moteurs Fairbanks, elle s’était dotée d’un matériel particulièrement sûr et résistant puisque le dernier des Fairbanks, mis en service en 1950, a seulement terminé sa carrière le 2 avril 1981, après 85.000 heures de marche et 30 ans de service.
A noter également qu’au cours de l’annee 1955, Electricité de France fait une apparition à Saint-Pierre, sous la forme d’un inspecteur, M. de Serres, venu à la demande du Gouverneur Sicaud « pour examiner les besoins un énergie électrique de la ville de Saint-Pierre, ainsi que les conditions optima de renforcement et d’extension de la Centrale ». Son rapport, qui prévoyait un potentiel de 1.000 Kw. et faisait de nombreuses observations relatives à la sécurité, servit souvent de référence pour les améliorations ultérieures.

Le Service puis la Subdivision de l’Electricité
1957-1977

Pour des raisons de commodités budgétaires, la Régie devint un Service de l’Electricité par arrêté du 14Juin 1957. Dans le cadre du programme d’agrandissement et afin de répondre à la demande croissante, un nouveau bâtiment était construit, un nouveau groupe installé, cette fois de marque Polar (suédois). Avec celui qui fut placé un 1966, l’ensemble Polar fournissait une puissance de 1.450Kw.
En Août 1960, nouvelle appellation le Service devient « Subdivision de ‘Electricité ». Sous l’autorité du Chef du Service Territorial dus Travaux Publics, M. Maurice Forgeard devenait chef de Subdivision jusqu’en Mai 1966, date à laquelle il fut remplacé par Monsieur Georges Jaccachury. Dans le même temps et pour tenir compte des sujétions, des responsabilités et des qualifications croissantes, Messieurs Georges Poulet et Paul Lebailly, respectivement Gouverneur du Territoire et Président du Conseil Général, décidèrent de régulariser et de revaloriser la situation du personnel technique un créant un cadre spécial.
Toute cette période, de 1957 à 1973, est caractérisée par une activité économique soutenue, et même croissante, se traduisant par une élévation régulière du pouvoir d’achat, le développement de la consommation et une augmentation de la demande d’énergie de plus de 10 % par an.
C’est pourquoi la Subdivision de l’Electricité dut mettre un chantier un troisième bâtiment pour loger un nouveau groupe, les Deutz (allemands) un 1972.

Le Service de la Production et de Distribution de l’Electricité
1972

Parvenu à ce niveau, il était normal que le Service Electrique devienne autonome, par arrêté du 8 Décembre 1971. Cette étape du développement électrique vit la deuxième rénovation d’un réseau qui commençait à s’étendre audelà du périmètre urbain et l’acquisition d’un deuxième groupe Deutz. Parallèlement étaient programmés différents travaux d’extension et de normalisation dus lignes.
La tâche commençait cependant à excéder les moyens du service local qui ne pouvait plus suivre la courbe de l’augmentation dus besoins et le développement de la technologie.
Aussi bien, la proximité dus côtes terre-neuviennes disposant d’une importante capacité hydroélectrique à bas prix, avait suscité, vers cette époque, un projet de raccordement par câble sous marin avec l’électricité de Terre-Neuve. Des études assez précises turent faites avec une conclusion positive sur le plan technique. Une telle opération aurait cependant nécessité le maintien d’une installation autonome dans l’Archipel pour ne pas être entièrement tributaire d’une source extérieure. donc un double investissement. C’est pourquoi, le projet n’eut pas de suite.

L’E.D.F.
1977

En 1977, le Service Electrique de Saint-Pierre et Miquelon était nationalisé et transféré à l’Electricité de France. Ceci est une conséquence de la loi de Départementalisation de 1976 qui entraînait l’application de la Loi du 11 Juillet 1975 nationalisant l’Electricité dans les Départements d’Outre-Mer.
A vrai dire, l’installation d’un Centre E.D.F. dans l’Archipel venait à son heure. Il s’agissait de répondre à un taux annuel d’accroissement de 25% résultant de la modernisation de la ville et du port, de faire face également aux contraintes de la crise économique et de la crise pétrolière. enfin d’assurer la formation et le perfectionnement d’un personnel qui doit s’adapter constamment au progrès technique. Seule l’organisation E.D.F. disposait des moyens nécessaires.
Quelques chiffres donnent les points de repère de l’effort entrepris. Après la réorganisation du service, toujours sous la responsabilité de Monsieur Georges Jaccachury, dépendant de la Direction Régionale des DOM, vint l’extension et l’installation de nouvelles lignes, la mise en place de trois nouveaux moteurs (français), les « Pielstick (Alsthom Atlantique) d’une puissance installée totale de 6 MW (mégawatts). Ainsi la puissance installée, qui était de 3,5 MW au moment du transfert à l’E.D.F, passe, en 1981, à près de 9 MW. Nous sommes loin des modestes 80 KW. de 1898. Et les prévisions pour 1983, après l’achèvement des nouveaux bâtiments, sont de 22 MW, soit presque 8 fois plus qu’en 1977.
Quant aux investissements, le ‘Bulletin informations EDF DOM » d’Octobre 1981 fournit un tableau d’ensemble pour les DOM sur lequel on relève, concernant Saint-Pierre et Miquelon, en réalisations et prévisions (en Millions de Francs) :

 

1979 6
1980 7
1981 14
1982 15
1983 11
1984 4
1985 5
Total 62

 

L’importance et la qualité des équipements ainsi constitués n’auront pas seulement pour effet d’apporter un meilleur confort et une tarification équitable, aux usagers que nous sommes tous, particuliers et collectivités.
Du fait de la situation géographique de l’Archipel, les réalisations d’Electricité de France doivent aussi concourir à valoriser cette fonction de « vitrine » de la production française près de l’Amérique du Nord, thème favori de bien des discours officiels sur Saint-Pierre et Miquelon. Il ne faut négliger aucun atout pour lutter contre les effets pernicieux du repli économique et se mettre en mesure de « repartir » dès que se présenteront des circonstances plus favorables.
C’est dans le même esprit qu’E.D.F. apporte son concours aux programmes d’économies d’énergie et d’énergies renouvelables, en cours d’application ou en projet.
Quant on parle d’énergies renouvelables à Saint-Pierre et Miquelon, il s’agit essentiellement de l’énergie éolienne. Déjà, ont été testés par le Service des Phares et Balises, les Aérogénérateurs de Galantry (Aerowatt 1100 FP 7).

Energies renouvelables

L’ère des inventeurs ou des pionniers n’est pas close. Il y a toujours quelque chose à découvrir ou à perfectionner. Pourquoi n’y aurait-il pas ici, comme au temps de François Thélot des expérimentateurs pour l’utilisation de certaines formes d’énergies locales, comme l’énergie éolienne?
C’est ce qu’avait compris le C.O.M.E.S. (Commissariat à l’énergie Solaire). En liaison avec l’E.D.F., il avait prévu pour l’Archipel un projet de développement des énergies renouvelables (période 1981 – 1985) de l’ordre de 28 Millions de Francs d’investissements, dont l’objectif « à l’horizon 1990 était de parvenir à une substitution d’énergie d’environ 5.000 TEP (Tonnes Equivalent Pétrole) ».
De Saint-Pierre ou de Miquelon, tout observateur nocturne a pu, en regardant vers le Nord. constater au fil des ans, la multiplication des lignes lumineuses sur le littoral terre-neuvien
Inversement, nos voisins ont remarqué depuis longtemps, lorsqu’ils tournent leurs regards vers le Sud, un accroissement de « brillance », donnant à nos les minuscules une auréole dépassant largement leur superficie. Ce ne sont plus comme autrefois, les modestes feux d’un bivouac solitaire qui trouent la nuit océanique. C’est un embrasement du ciel qui témoigne des progrès accomplis par l’énergie inventive des hommes.
Puissent ces lumières nouvelles apporter aussi l’espérance du renouveau, dissiper les angoisses sécrétées par certains aspects de notre civilisation et réduire les incompréhensions entre les hommes.

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